OPINION | Démantèlement du chemin de fer entre Vallée-Jonction et Notre-Dame-des-Pins
L’architecte Mathieu Lachance s’explique mal qu’une entente ait été conclue afin que le MTQ procède au démantèlement du tronçon de chemin de fer Québec Central entre Vallée-Jonction et Notre-Dame-des-Pins.
Dans un texte intitulé « Le règne de l’obscurantisme », celui-ci souhaite contrebalancer les points de vue sur cette décision qui concerne l’ensemble de la Beauce.
Le règne de l’obscurantisme
Par Matthieu Lachance, architecte
Nos gouvernements, tant au fédéral qu’au provincial, aiment bien faire de l’économie une priorité sur toutes les tribunes. Alors qu’on annonçait avec fanfare la résurgence du Plan nord afin de développer le potentiel minier du Québec septentrional, l’annonce subtile du démantèlement d’une partie vitale du réseau ferroviaire Québec Central, situé au cœur de la Beauce, passait sous le tapis. Ce qui est le plus choquant, c’est que le premier projet est d’abord et avant tout basé sur la spéculation et les prédictions à long terme de la demande des métaux tandis que l’autre se base sur un acquis industriel déjà établi dans une région dynamique de la province.
Malheureusement, on aura eu tout le loisir en Beauce de diviser artificiellement les partisans de la piste cyclable de ceux du chemin de fer, manière efficace de cacher que les deux infrastructures ne sont pas en concurrence et qu’elles peuvent même se supporter mutuellement à long terme dans l’optique possible du retour du transport passager. Sur ce point, les promoteurs du chemin de fer Sartigan, qui opère le seul tronçon fonctionnel du Québec Central, se sont toujours montrés partisans d’une double solution et il semble qu’ils ne soient pas les seuls à penser ainsi dans la vallée de la Chaudière.
Personne n’osera remettre en question la pertinence d’une piste cyclable, mais son impact réel demeure toujours très variable d’une région à l’autre. En revanche, de nombreuses études publiques récentes et l’intérêt soutenu de la communauté d’affaires beauceronne montrent que le Québec Central est un lien économique vital dans la région. Un préfet d’une MRC de la région des Bois-Francs avait d’ailleurs indiqué récemment que la conversion du chemin de fer en piste cyclable dans sa région à la fin des années 1980 avait été une « catastrophe monumentale ». Son cri de détresse s’est visiblement perdu dans le désert.
Ce qui frappe le plus, c’est qu’en cette période dite d’austérité, on ne tient pas compte du coût relatif de chacune des options. Le projet de piste cyclable, selon les rapports disponibles en ligne, se détaille entre 250 000 $ à 300 000 $/km tandis que la réfection du rail par le MTQ en Beauce coûte actuellement 110 000 $/km. Les impacts économiques, sociaux, environnementaux, territoriaux et sur le trafic routier des deux options n’ont aucune commune mesure. Est-ce vraiment là un usage sage et prudent des ressources publiques?
Mais ce qui frappe le plus, c’est l’absence de raisons valables pour détruire le réseau ferroviaire et il semble que dans ce cas-ci on se soit servi de la bonne volonté des amateurs de vélo comme d’un instrument mortel contre le train. Visiblement, la disparition du rail ne profitera ni aux cyclistes ni à la Beauce. La question est de savoir à qui profitera l’élimination d’un concurrent potentiel gênant… sinon, nous sommes face à un pathétique cas d’obscurantisme stérile.
Ne soyons pas dupes, l’expérience récente américaine a prouvé plus d’une fois que le rétablissement du rail là où il avait été abandonné est une entreprise ardue, coûteuse et parfois sans issue. Lors de sa construction, le Québec Central a pu bénéficier du parcours le plus direct possible entre le cœur de la Beauce et la ville de Québec. La réalisation d’une telle infrastructure de nos jours s’avèrerait physiquement impossible et nous voilà prêts à la sacrifier pour des retombées qu’on peine à chiffrer. À ce sujet, est-il nécessaire encore de dire que le coût de la réfection du Québec Central n’est qu’une infime fraction du milliard de dollars engloutis dans l’autoroute 73 depuis plus de 30 ans. L’un mène jusqu’au Mexique, l’autre à un chemin de campagne désolé…
Le plus triste dans cette histoire est que la vallée de la Chaudière est un des endroits les plus privilégiés du Québec pour tenter l’expérience du rail régional et s’intégrer aux pôles d’activités de la capitale et de Lévis. À une époque où la jeune génération se désintéresse de l’automobile à un rythme jamais vu, on se demande bien comment nos villes régionales pourront faire face à l’exode de la population locale.
Où se trouve donc l’esprit combatif et entreprenant des Beaucerons au moment où on se prépare à déconnecter définitivement Saint-Georges du réseau continental? Tout me porte à croire que l’indomptable George Pozer, grand visionnaire, doit bien se retourner dans sa tombe alors que sa ville décide irrémédiablement de faire un grand pas en arrière… Il fut un temps où la seigneurie d’Aubert-Gallion manquait moins de courage.

