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Perdue dans une forêt touffue

durée 20h36
5 février 2014
Véronique Lessard
duréeTemps de lecture 3 minutes
Par
Véronique Lessard

Je pose un genou par terre et je me fais salement égratigné par une branche. Je réussis à avancer un peu, à glisser un pied devant. Je me heurte à des bosquets, serrés comme des soldats en plein garde-à-vous. Merde. Je décide de ramper, ce n’est pas plus gai. Les brindilles, les cailloux me déchirent le ventre et lacèrent mon visage. Je lève la tête, essaie d’apercevoir le soleil pour m’orienter. Rien à faire, les arbres matures forment un écran opaque. Ils sont dressés, fiers, la tête haute, l’air de me dire : ma petite, si tu veux voir la lumière et sortir de là, il va falloir que tu te lèves debout et que tu fasses mieux que ça.

 

Je me redresse donc. J’écarte les pousses devant moi. J’enjambe une talle d’herbes à puce, trois autres apparaissent. Je saute par-dessus, je trébuche et j’atterris sur les coudes. Je rage, je peine, mais j’avance. J’use d’astuce, je grimpe à un tronc, je me propulse plus loin et je touche le sol relativement sur mes pieds. Je marque un point : les arbres s’espacent, l’air est plus léger, le sol est dégagé et enfin, je vois poindre les rayons du soleil. Je peux même sentir leur chatouillement sur ma peau.

 

Je poursuis mon avancée, j’hume l’odeur des fleurs sauvages, l’humidité des plantes basses et du tapis mousseux. Le vent est doux, il m’effleure, me caresse. J’arrive à une petite butte que je gravis sans peine. Et là, surprise ! Une clairière avec du blé, fraîchement poussé. Un espace infini, un soleil éclatant, un espace où tout est possible.

 

J’avance jusqu’au centre, je lève les bras au ciel, je ferme les yeux. C’est ça. C’est ici que je dois être. Je sens toute la lumière du soleil qui pénètre ma peau, mes muscles, mes os, et enfin, mon cœur. Tout d’un coup, tout me revient : j’ai dix ans, peut-être onze et j’entends  le son de l’aiguisoir à crayon automatique accroché au mur à côté du tableau, je vois l’efface sur le coin de mon bureau, la feuille blanche posée devant moi. Je sens les idées qui se bousculent dans ma tête, les battements de mon cœur qui s’accélèrent et mon crayon qui court sur ma feuille pour ne rien manquer. La pause qui vient ensuite pour mettre les idées en ordre, les mesurer, les garder ou les rejeter. Le choix des mots à faire, les émotions à faire ressentir au lecteur. Wow. Le sentiment grisant d’être en connexion avec soi-même. Tout autour n’existe plus.

 

J’ai inventé des histoires toute mon enfance. J’ai fait partie de toutes les activités d’écriture qui existaient partout où je passais. Ça m’attirait comme un aimant. Ça me stimulait comme rien d’autre ne me stimulait. Comment j’ai pu occulter cette partie de moi ? Toutes les explications ne sont pas encore claires. Certaines oui, certaines non. J’ai le souvenir que le métier d’écrivain n’avait pas de bonnes statistiques de débouchés sur le marché de l’emploi. Qu’à moins de créer une œuvre digne de ce nom, tu pouvais manger du pain blanc pendant un bon bout de temps, que plusieurs personnes m’ont donné leur opinion sur ce métier qu’ils ne considéraient pas comme étant stable et pourvu d’un horaire de travail régulier. Mais, ce dont je me rappelle le plus clairement, c’est d’avoir accordé trop d’importance à l’opinion d’autrui, d’avoir manqué de confiance en moi, d’avoir choisit la facilité et d’avoir renoncé à une partie de moi-même pour des chimères. Et ça, ça fait mal. Quand j’ai renoncé à cette partie de moi, j’ai barricadé mon cœur au centre d’une grande forêt hostile, pratiquement impénétrable. Il m’a manqué cette partie de moi depuis et je l’ai cherché pendant des années. C’est finit  maintenant. C’est pourquoi j’écris ce billet.

 

Avez-vous déjà renoncé à quelque chose qui vous définit profondément ? 

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