Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Le ministre Holland est «insultant», disent les dentistes du Québec

durée 04h30
10 avril 2024
La Presse Canadienne, 2024
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — Les dentistes du Québec jugent «insultant» que le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, les fasse passer, disent-ils, pour «de mauvaises personnes qui vont abuser des gens» s'ils facturent des honoraires supérieurs à ceux prévus dans le nouveau régime fédéral de soins dentaires qui, eux, seraient «justes».

«Mettez-vous à notre place. C'est comme d'entendre que nos honoraires réguliers sont injustes. (...) On est vraiment très irrités par les propos du ministre», a déclaré le président de l'Association des chirurgiens dentistes du Québec, Dr Carl Tremblay, dans une entrevue avec La Presse Canadienne.

Le Dr Tremblay a insisté que les honoraires suggérés aux dentistes par son organisation ne sont pas trop gourmands. «Nos honoraires sont justes et raisonnables. Ils sont établis en fonction des dépenses qu'un dentiste a à assumer pour vous rendre le service», s'est-il défendu.

Le syndicat professionnel estime qu'environ 70 % des montants facturés servent à payer les dépenses pour exploiter la clinique et que le reste va à la rémunération du dentiste. Il note également que le revenu moyen des dentistes québécois a diminué dans les dernières années en raison d'une augmentation plus rapide des coûts que de la liste de prix. 

Le Régime canadien de soins dentaires (RCSD) est appelé à devenir «le plus grand programme fédéral au Canada», aux dires du ministre Holland. À terme, les neuf millions de Canadiens – soit environ le quart de la population – qui ne disposent pas d'une assurance privée et qui ont un revenu faible ou moyen seront couverts.

Le programme offrira des soins gratuits pourvu que le dentiste suive le guide de tarifs du gouvernement fédéral et que le patient ait un revenu familial net ajusté inférieur à 70 000 $. Ceux dont le revenu se situe entre 70 000 $ et 90 000 $ devront payer une quote-part allant de 40 % à 60 % des coûts. Il sera obligatoire d’avoir produit sa déclaration de revenus pour être couvert.

«Écoeurer» les dentistes

Le Dr Tremblay ne digère pas plus les propos du ministre Holland voulant que les dentistes «négocient» avec Ottawa pour obtenir «la meilleure entente pour leurs membres» et que le gouvernement cherche, à l'inverse, «la meilleure entente pour les contribuables».

«Ce qu'il dit entre les lignes, c'est qu'on demande au dentiste d'accepter uniquement ce que le régime va couvrir, soupire le Dr Tremblay au bout du fil. C'est carrément nous demander la charité.»

Les dentistes ne vont pas «subventionner» le programme en donnant un rabais aux patients qui y sont admissibles, a-t-il prévenu. Et à ce sujet, «c'est tout à fait faux» qu'ils tentent de négocier les honoraires.

«Nous, on va continuer de charger nos tarifs habituels», a tranché le Dr Tremblay.

Bien que les dentistes soient très favorables à un programme de soins dentaires, leur président prévient que si Ottawa ne «recadre» pas son message et continue de les «écoeurer», plusieurs d'entre eux pourraient bien se désinscrire du programme. «Ce serait très malheureux», a-t-il lâché.

À Ottawa, le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement et ancien ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, a plaidé que «dans la très, très grande majorité des cas» le remboursement proposé par le gouvernement fédéral est «très proche» des tarifs exigés par les dentistes, généralement «entre 80 % et 100 %».

Il a expliqué que la grille de tarifs élaborée par Ottawa est basée sur «l'utilité des soins» et que, par exemple, les soins préventifs seront presque entièrement remboursés puisqu'ils ont «le plus d'impact» sur la santé de la population.

M. Duclos a aussi assuré que le gouvernement ne demande pas aux dentistes d'octroyer un rabais aux patients et qu'il n'a pas d'objection à ce que les patients se voient facturer la différence entre les frais habituellement demandés et ce que remboursera le régime.

«C'est comme ça que fonctionnent d'ailleurs les régimes privés actuels, a-t-il dit. Dans la plupart des cas, le remboursement des régimes privés (...) est autour de 80 % et les patients remboursent le solde directement au dentiste.»

Mais son collègue Holland a rejeté l'idée que les patients paient leur dentiste puis se fassent rembourser par Ottawa, comme ça peut être  le cas avec les assureurs privés. Il a parlé d'«une ligne rouge» puisque cela nuirait à ceux qui n'ont pas les moyens de payer de leur poche. Cela implique que si un dentiste refuse de s'inscrire, son patient est susceptible de changer de clinique.

Les dentistes sont aussi «insultés» par le fait qu'Ottawa veut pré-autoriser des soins, ce qu'ils considèrent comme une atteinte à leur jugement professionnel.

«On veut regarder au-dessus de ton épaule parce qu'on n'a pas confiance en toi, (...) on pense que tu voudrais exagérer», a illustré le Dr Tremblay.

Beaucoup de patients, peu de dentistes

Le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mardi que pas moins de 1,7 million d'aînés sont désormais inscrits au régime fédéral de soins dentaires. Au Québec, le programme est particulièrement populaire avec plus de 576 000 inscriptions.

«Ça signale clairement qu'il y a un besoin très important au Québec, a analysé le ministre Duclos. Une des raisons qui semble expliquer cette si grande participation (...) c'est que les aînés au Québec ont moins accès à des régimes privés d'assurance santé qui incluent les soins dentaires.»

Ottawa élargit depuis quelques mois les tranches d'âges des Canadiens invités à présenter une demande. C'est présentement au tour des aînés de 70 ans et plus. En mai, l'admissibilité sera étendue à toutes les personnes âgées de 65 ans et plus. Suivront au cours de l'année les moins de 18 ans et les personnes vivant avec un handicap. Les 18 à 64 ans pourront s'inscrire en 2025.

Les premiers Canadiens inscrits au programme devraient pouvoir commencer à se faire nettoyer et traiter leurs dents en mai, mais seulement chez un prestataire de santé bucco-dentaire qui s'est inscrit pour prodiguer les soins.

Quant au nombre de dentistes, d'hygiénistes indépendants et de denturologistes qui se sont inscrits, Ottawa refuse de le dévoiler en se contentant de dire qu'ils sont «des milliers» au pays. Or, selon l'Association dentaire canadienne, le pays compte environ 25 500 dentistes autorisés à exercer.

Au Québec, le Dr Tremblay a calculé à partir des données publiques de la Sun Life – la compagnie qui administre le régime – qu'environ 650 dentistes se sont inscrits alors que la province en compte près de 5500, soit environ 12 %.

Et la répartition des dentistes est loin d'être équitable sur le territoire. S'ils sont nombreux dans la métropole, il n'y en a aucun à Rouyn-Noranda, à Val-d'Or, à Sept-Îles ou à Rimouski.

La mise en place du régime fédéral de soins dentaires est un des principaux éléments de l'entente de soutien et de confiance que le gouvernement libéral de Justin Trudeau a conclue avec le Nouveau Parti démocratique afin de se maintenir au pouvoir en échange de son  appui lors de votes clés à la Chambre des communes.

Michel Saba, La Presse Canadienne