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Les prisons en Ontario ont connu une augmentation spectaculaire du nombre de détenus

durée 17h09
6 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

TORONTO — Les prisons de l'Ontario ont connu une augmentation spectaculaire du nombre de détenus au cours de la dernière année, la majorité des établissements dépassant largement leur capacité, selon de nouvelles données obtenues par La Presse Canadienne.

Pendant ce temps, un nombre écrasant de détenus – 81%, a indiqué le gouvernement – attendent leur procès et sont présumés innocents.

Les données, obtenues grâce aux lois sur l'accès à l'information, montrent le nombre moyen de détenus et la capacité institutionnelle au cours des 10 dernières années dans les prisons de la province. Ces institutions détiennent des personnes accusées d'un crime, mais non libérées sous caution, ainsi que celles qui purgent des peines de deux ans moins un jour.

Au 30 septembre 2023, il y avait en moyenne 8889 personnes dans les prisons provinciales, soit bien au-delà de la capacité d'accueil de 7848 personnes. Dans l’ensemble, les prisons fonctionnaient alors à 113% de leur capacité.

La plupart des établissements de l'Ontario étaient en surcapacité en 2023, selon les données.

Le complexe correctionnel de Maplehurst, à Milton, en Ontario, était le plus surpeuplé l'année dernière, avec une population carcérale moyenne de 1188 individus, mais une capacité officielle de 887 – ce qui signifie qu'il fonctionnait à 134 % de sa capacité en 2023.

Le centre de détention d'Elgin-Middlesex à London, en Ontario, arrive juste derrière avec un fonctionnement à 133% de sa capacité, pour une moyenne de 471 détenus tout en ayant une capacité opérationnelle de 353.

Le centre de détention du Sud-Ouest à Windsor, en Ontario, fonctionnait à 129% de sa capacité, avec 337 détenus, mais de l'espace pour seulement 262.

Augmentation des agressions et du stress

Les avocats pénalistes et les agents correctionnels affirment que la surpopulation dans les prisons a entraîné plusieurs problèmes, notamment des conditions de vie exiguës pour les détenus et une augmentation des agressions contre les agents correctionnels.

Les détenus sont installés à trois dans des cellules individuelles dans plusieurs établissements, a révélé Chad Oldfield, porte-parole du secteur correctionnel du Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario (SEFPO).

Les agents correctionnels sont de plus en plus agressés, a-t-il avancé, et les blessures liées au stress opérationnel et le stress post-traumatique chez les gardiens sont en augmentation.

«Nous avons également perdu un certain nombre de membres du personnel, qui se sont suicidés au cours de l'année dernière, a-t-il déploré. Le nombre de détenus augmente, puis il y a une pénurie de personnel, c'est juste une recette pour un désastre.»

Les agents correctionnels occupent le troisième rang parmi les professions pour lesquelles des réclamations pour blessures de stress liées au travail ont été approuvées et enregistrées auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail entre 2016 et 2022, selon les données de la CSPAAT. Seuls les policiers et les ambulanciers paramédicaux ont plus de réclamations pour blessures de stress.

Le solliciteur général Michael Kerzner, responsable du système carcéral de l'Ontario, n'a pas répondu aux questions répétées sur la population carcérale ou sur les plans de la province pour faire face aux établissements surpeuplés.

Au lieu de cela, il a parlé d'embaucher 1000 agents correctionnels supplémentaires et de visiter les prisons.

«La sécurité publique est une priorité, elle le sera toujours et nous avons le droit de vivre en sécurité dans nos communautés», a déclaré M. Kerzner.

M. Oldfield, du SEFPO, a déclaré que ces 1000 emplois sont des travailleurs contractuels.

La province construit une nouvelle prison de 345 lits à Thunder Bay, en Ontario, qui remplacera la prison actuelle et doublera sa capacité. Le gouvernement envisage également de construire une prison de 235 lits dans l'est de l'Ontario, mais ce projet s'est heurté à l'opposition des habitants, qui ne veulent pas qu'elle soit construite sur des terres agricoles de premier ordre.

La libération sous caution sous tous les regards

La semaine dernière, l'Association canadienne des libertés civiles a publié un rapport selon lequel le système de libération sous caution du pays s'est considérablement détérioré au cours de la dernière décennie. Il a indiqué que la proportion de détenus en attente de jugement avait atteint un record de 79 % en 2022.

L'Association des avocats criminalistes (CLA) a soutenu que l'augmentation du nombre de détenus était due au fait que les procureurs de la Couronne s'opposaient plus aux demandes de libérations sous caution, en particulier pour les crimes présumés avec arme à feu et d'autres infractions graves et violentes.

Cela signifie que les détenus restent derrière les barreaux pendant que la défense et l'accusation se préparent aux audiences pour débattre de la libération sous caution qui n'avait pas été validée dès le début, augmentant ainsi la population carcérale, a déclaré Boris Bytensky, président de l'association des avocats.

«Les positions adoptées par les procureurs de la Couronne en matière de libération sous caution deviennent de plus en plus conservatrices», a pointé M. Bytensky.

Le bureau du procureur général de l'Ontario n'a pas répondu aux questions quant au fait de savoir si le gouvernement avait donné des instructions aux procureurs de la Couronne pour qu'ils s'opposent à d'autres demandes de libération sous caution.

Le porte-parole de Doug Downey a affirmé que la province investirait 112 millions $ sur trois ans pour «garantir que les délinquants violents à haut risque et récidivistes respectent leurs conditions de mise en liberté sous caution et que les procureurs disposent des ressources nécessaires pour mener des enquêtes sur la libération sous caution».

«En gardant derrière les barreaux les récidivistes violents qui commettent des crimes alors qu'ils sont en liberté sous caution, nous assurerons la sécurité de notre province», a argué Andrew Kennedy.

Pendant la pandémie de COVID-19, des efforts concertés ont été déployés pour réduire le nombre de détenus lorsqu’il est devenu évident, en avril 2020, que le nouveau coronavirus se propageait rapidement dans les lieux collectifs.

Le nombre moyen de détenus est tombé à 6661 en 2020, contre une moyenne de 8049 en 2019, selon les données.

M. Bytensky, de la CLA, a affirmé qu'il n'y avait pas eu d'augmentation ultérieure des taux de criminalité. En fait, a-t-il dit, il y a eu une baisse significative de la criminalité pendant la pandémie, à quelques exceptions près, comme une augmentation des accusations de violence conjugale.

Le premier ministre Doug Ford prône depuis longtemps un programme de lutte contre la criminalité plus sévère, mais ses commentaires sur le fait d'être plus sévères en matière de libération sous caution se sont intensifiés après qu'un officier de la Police provinciale de l'Ontario, l'agent Grzegorz Pierzchala a été abattu fin 2022. Le tireur accusé était alors en liberté sous caution et avait une interdiction d'armes à vie.

Ottawa a adopté fin décembre de nouvelles lois fédérales qui imposent aux récidivistes violents qui utilisent des armes de prouver au tribunal qu'ils ne présentent aucun risque de sécurité ou de fuite, une inversion du fardeau qui incombe normalement à la poursuite.

Le discours politique de M. Ford a atteint son paroxysme ces derniers jours lorsqu'il a déclaré que son gouvernement souhaitait que les «juges partageant les mêmes idées» soient plus sévères envers les criminels accusés.

M. Bytensky a déclaré que les longues attentes pour les audiences de libération sous caution ont coûté aux gens des emplois, des logements et, dans certains cas, la garde de leurs enfants.

Pendant ce temps, comme la grande majorité des détenus n'ont pas encore comparu devant le tribunal, il n'y a aucun programme pour eux, a-t-il argué.

Liam Casey, La Presse Canadienne