Approbation de projets: des avocats inquiets de ce que présenterait Carney


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Un document qui détaillerait les grandes lignes d’un projet de loi que le premier ministre Mark Carney présenterait aux premiers ministres des provinces inquiète un groupe de juristes. Les avocats du Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) craignent que l’éventuelle législation visant à accélérer la réalisation de projets d’intérêt national se fasse au détriment de la protection de l’environnement et aussi des compétences provinciales.
Certains médias, dont La Presse Canadienne, ont obtenu un document qui aurait été préparé par le Bureau du Conseil privé et qui est intitulé «Projets majeurs et propositions de loi d'intérêt national».
Le document de trois pages explique comment le gouvernement compte reconfigurer les processus d’approbation des projets d’infrastructure afin d’accélérer les projets «d’intérêt national» comme «les mines, les installations nucléaires, les ports et d'autres infrastructures».
L’avocat Marc Bishai s'inquiète que certains passages du document fassent état d’un affaiblissement des règles environnementales.
Par exemple, cet extrait: «Même si les conditions établies par le ministre s'efforceront de respecter le niveau de protection prévu par les lois et règlements en vigueur, le document pourrait prévoir des conditions moins robustes que celles qui pourraient autrement être requises pour la délivrance des permis en vertu des lois».
Ce qui est préoccupant, souligne Me Bishai, «c'est le possible contournement des règles environnementales, notamment provinciales. C'est un possible affaiblissement des règlements environnementaux, une possible déréglementation, et pour nous c'est inquiétant à ce stade-ci».
Le document souligne également «qu’une fois qu'un projet est jugé d'intérêt national, les examens fédéraux passeront de la question de savoir s'il convient de le réaliser à celle de savoir quelle est la meilleure façon de le faire progresser. Cela simplifiera les multiples étapes de décision pour l'approbation fédérale et minimisera le risque de ne pas obtenir l'approbation d'un projet après des travaux importants».
Cette proposition de législation annonce «des affaiblissements de règles environnementales en se fondant sur la très vague idée d'intérêt national» et «ce qui peut paraître souhaitable sur le plan économique n'est pas forcément d'intérêt national au sens constitutionnel», tient à rappeler l’avocat Marc Bishai.
Ingérence dans les compétences provinciales
Les multiples références à l'intérêt national pour parler de projets annoncés comme étant structurants pour le pays préoccupent le CQDE, car «cette expression peut être utilisée en droit constitutionnel pour retirer des compétences aux provinces».
Une province doit «non seulement être consultée, mais respectée en tant que partenaire égal au fédéral» et le CQDE indique qu’il est crucial que chaque ordre de gouvernement puisse garder la capacité de protéger l’environnement «dans l'exercice de ses propres compétences».
La Constitution canadienne, ajoute Marc Bishai, accorde aux provinces «des compétences exclusives qui ne sont pas subordonnées aux compétences fédérales».
Mais, «ce n'est absolument pas clair si cette législation respecterait ce principe» et si le gouvernement allait de l’avant avec une telle pièce législative, il pourrait s’exposer à des poursuites judiciaires.
«On a déjà vu, dans le passé, des organismes s'attaquer à des législations devant les tribunaux quand elles semblent inconstitutionnelles» et «il y a déjà eu des décisions qui ont invalidé des portions de lois au fédéral et au provincial, notamment quand elles ne respectent pas le partage des compétences établi par la Constitution», rappelle l’avocat du CQDE.
Exploiter les ressources énergétiques et naturelles inexploitées
Le document rédigé en anglais soutient que le Canada doit «accroître et diversifier ses échanges commerciaux, bâtir des infrastructures propices au commerce et exploiter de manière responsable les ressources énergétiques et naturelles inexploitées».
On fait référence au fait que «les provinces, les territoires et les peuples autochtones» ont fait part de leur souhait de voir certaines infrastructures être priorisées.
«Ce projet de loi serait conçu pour permettre une prise de décision en amont sur un petit nombre de projets», peut-on lire dans le document.
Anne-Céline Guyon, analyste climat chez Nature Québec, s’inquiète que le document ne fasse «aucune mention de projets qui viseraient à réduire la demande de consommation énergétique en général et encore moins en combustible fossile».
Le document mentionne que les projets d'intérêt national devront se faire «en partenariat avec les provinces, avec les peuples autochtones, mais à aucun moment on nous parle de consultations avec la société civile, avec la population», ajoute l’analyste.
«Ce qui nous saute aux yeux également, c’est à quel point, dans ce document-là, on ne fait absolument pas référence à nos cibles et nos objectifs climatiques ni à la protection de la biodiversité», indique Anne-Céline Guyon.
Tous les premiers ministres des provinces doivent rencontrer le premier ministre du Canada en Saskatchewan lundi.
Le premier ministre Carney profiterait de cette rencontre pour discuter du document en question.
Stéphane Blais, La Presse Canadienne