Deux communautés autochtones comptent installer un campement près du Cercle de feu


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Par La Presse Canadienne, 2024
Une décision politique prise à mille kilomètres de chez Jeronimo Kataquapit, qui vit dans une Première Nation isolée près de la baie James, a déterminé le cours de son été.
Maintenant, ce jeune homme de 20 ans, originaire de la Première Nation d'Attawapiskat, accompagné de son père, de sa mère et de son frère aîné, remonte la rivière à bord de deux canots de transport de 7,3 mètres pour un voyage de 400 kilomètres afin de «réaffirmer la présence des Premières Nations» près du Cercle de feu, dans le nord de l'Ontario.
La famille espère atteindre son dernier arrêt, près d'un pont en construction sur la rivière Attawapiskat, d'ici samedi.
Ils y rencontreront un contingent de la Première Nation de Neskantaga, alors que les deux communautés s'unissent pour construire un campement quasi permanent et faire une déclaration politique.
«C'est chez nous. C'est notre territoire, pas seulement celui d'Attawapiskat, mais celui de toutes les nations de la région», a souligné M. Kataquapit lors d'une récente entrevue téléphonique avec La Presse Canadienne, s'exprimant sous une bâche dans son canot, tandis que son père naviguait dans de petits rapides.
Ils ont emporté plus de 200 litres d'essence pour alimenter les moteurs de 25 chevaux de leurs canots. Une génératrice alimente également leur kit Starlink, qui leur donne accès à Internet haute vitesse où qu'ils soient, afin de documenter leurs voyages sur les médias sociaux et de rester connectés au monde extérieur.
Un appel à l'action
La famille a quitté Attawapiskat le 16 juin pour le voyage que M. Kataquapit a baptisé «Here We Stand», un appel à l'action lancé aux Premières Nations pour montrer aux gouvernements fédéral et provincial qu'elles souhaitent être consultées avant tout développement et toute exploitation minière dans le Cercle de feu, riche en minéraux.
L'idée s'est concrétisée pour Jeronimo Kataquapit fin mai, lorsqu'Ottawa a présenté le projet de loi C-5, qui, selon le gouvernement du premier ministre Mark Carney, vise à accélérer la mise en œuvre de grands projets jugés d'«intérêt national».
Ce projet de loi, adopté en procédure accélérée à la Chambre des communes et au Sénat jeudi, faisait suite à un projet de loi similaire, le projet de loi 5, adopté à toute vapeur par l'Assemblée législative provinciale à Queen's Park, à Toronto.
Une partie de cette loi confère au Cabinet ontarien le pouvoir de suspendre les lois provinciales et municipales dans les zones économiques spéciales afin d'accélérer la mise en œuvre de projets, tels que des mines. Le premier ministre Doug Ford a déclaré que le Cercle de feu serait la première zone de ce type.
Ces deux projets de loi ont suscité l'indignation et des manifestations à Queen's Park et sur la colline du Parlement de la part des Premières Nations, qui estiment que ces projets de loi bafouent leurs droits et ignorent leurs préoccupations.
Les Premières Nations de tout le pays, en particulier celles du nord de l'Ontario, ont averti qu'elles pourraient recourir au blocage des routes, des voies ferrées et des mines si la loi n'était pas abrogée.
«Les gouvernements ne peuvent absolument pas modifier ces projets de loi, a soutenu M. Kataquapit. Supprimez-les, et nous pourrons peut-être discuter d'autres sujets.»
Les membres de la Première Nation de Neskantaga se sont déjà rendus par avion au campement du Cercle de feu pour préparer le terrain et prévoient d'y retourner cette semaine pour rencontrer M. Kataquapit et sa famille, a indiqué le chef Gary Quisess.
Une dizaine de membres de la communauté de Neskantaga se sont rendus par hydravion jusqu'au point de passage proposé, ont construit un quai et sont prêts à s'y atteler pour le long terme.
«Ce sera une toute petite communauté, a expliqué M. Quisess. Notre message est simple : personne ne traversera la rivière Attawapiskat sans notre consentement libre, préalable et éclairé.»
La Première Nation de Neskantaga souhaite que les gouvernements aident d'abord sa communauté avant de conclure un accord de développement. Son poste de soins infirmiers a été inondé il y a deux mois et reste condamné, a mentionné M. Quisess.
La Première Nation détient également un record notoire : elle est soumise à un avis d'ébullition de l'eau depuis 30 ans.
«Nous vivons dans un pays en développement», a-t-il affirmé.
Des propositions déjà faites
La province a proposé trois routes qui relieraient le réseau routier provincial à deux Premières Nations, Webequie et Marten Falls, ainsi qu'au site d'exploration minière Eagle's Nest, situé dans le Cercle de feu. Ce projet de mine appartient à Wyloo, une société australienne.
Deux évaluations environnementales ont été réalisées et une troisième est en cours pour ces routes. Les rapports finalisés indiquent que la construction des routes prendra de quatre à six ans.
Deux ponts traversant la rivière Attawapiskat ont également été proposés.
Les Premières Nations de Neskantaga et d'Attawapiskat résident toutes deux sur la rivière Attawapiskat, à environ 450 kilomètres l'une de l'autre. Elles vénèrent les eaux qui ont assuré la vie et la subsistance de génération en génération. Elles prévoient vivre de la rivière et des terres autrefois enclavées près du Cercle de feu.
«La rivière est un lieu sacré ; nombre de nos ancêtres sont enterrés le long de ses rives, là où ils vivaient auparavant», a souligné M. Quisess.
La Presse Canadienne a demandé jeudi à Doug Ford comment il comptait obtenir le consentement des Premières Nations pour son projet d'exploitation minière du Cercle de feu.
Il a indiqué qu'il prévoyait se rendre dans le nord cet été après avoir reçu l'invitation de plusieurs Premières Nations.
«Rien de mieux que de s'asseoir, de pêcher et de partager le pain, et de voir précisément comment je peux les soutenir, comment la province peut les soutenir pour que leurs communautés puissent prospérer et grandir», a affirmé M. Ford.
Pendant les jours précédant le départ de sa famille pour l'aventure, Jeronimo Kataquapit a tenu de longues réunions avec les dirigeants afin d'informer le reste de la communauté des lois provinciales et fédérales. Ils ont également fabriqué plusieurs dizaines de drapeaux de la Première Nation d'Attawapiskat et de drapeaux familiaux.
Ces drapeaux sont peints d'empreintes de mains, de signatures et de messages comme «Kill Bill 5» («Tuez la loi 5»). M. Kataquapit les a plantés sur les rives, le long du parcours fluvial.
Certains jours, sa famille voyage pendant neuf heures et parcourt jusqu'à 60 kilomètres. D'autres jours, le trajet est plus lent et plus court, les canots se déplaçant entre quatre et sept kilomètres à l'heure, a-t-il expliqué.
«À cette époque, la rivière commence vraiment à s'assécher, elle est donc très peu profonde par endroits. Nous devons donc descendre du bateau, enfiler nos bottes et tirer les embarcations», a-t-il mentionné.
«C'est un voyage lent et régulier. Le voyage a été long et difficile, mais nous allons y arriver pour soutenir Neskantaga et toutes les Premières Nations», a-t-il ajouté.
Liam Casey, La Presse Canadienne