Face aux propos de Me Goldwater, la Cour du Québec remet les pendules à l'heure


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Dans une rare sortie, la Cour du Québec «réaffirme avec force l’importance de maintenir la confiance de la population envers l’indépendance complète, l’impartialité et la compétence de ses juges».
Les instances administratives du tribunal ont senti le besoin de réaffirmer leur indépendance à la suite du dépôt, le 3 juin dernier par Me Anne-France Goldwater, d’une procédure visant à faire déclarer inconstitutionnelle la création par Québec du nouveau Tribunal unifié de la famille (TUF). Une autre procédure déposée par l’avocate spécialisée en droit de la famille demande à la Cour supérieure de suspendre la création du TUF en attendant que le fond du litige soit tranché. Ce débat doit s’ouvrir mercredi en Cour supérieure.
Réaction aux propos de Me Goldwater
La Cour du Québec ne mentionne aucunement cette cause dans le communiqué publié lundi matin, mais La Presse Canadienne a pu confirmer auprès de ses instances que cette sortie est directement liée à la demande introductive d’instance de Me Goldwater.
Le tribunal, qui doit hériter de nombreuses responsabilités de la Cour supérieure, ne cherche pas par cette sortie à s’immiscer dans le débat juridique, mais n’accepte pas que Me Goldwater, dans sa demande, remette en question son impartialité et son indépendance.
Le cœur de l’argumentaire de Me Goldwater vise notamment un manque d’accès à la justice pour l’ensemble des couples, le coût du nouveau tribunal et surtout le transfert de questions qui relevaient jusque-là de la Cour supérieure vers la Cour du Québec, qui selon elle n’a pas la compétence requise et les moyens d’absorber cet influx de dossiers. Mais un des éléments-clés du dossier porte sur le fait que les juges de la Cour supérieure sont nommés par le gouvernement fédéral, alors que ceux de la Cour du Québec sont nommés par le gouvernement provincial.
Nombreux sous-entendus
Or, dans son recours, Me Goldwater affirme par exemple qu’en transférant des responsabilités à la Cour du Québec, «une portion essentielle du droit familial échappe à des juges structurés pour résister aux influences politiques locales», laissant entendre que ceux de la Cour du Québec n’assurent pas cette résistance.
Dans un autre passage, elle affirme qu’«en confiant à un gouvernement partisan le pouvoir de créer, financer, organiser et doter d'effectifs un tribunal appelé à trancher des affaires profondément personnelles et socialement sensibles, la Loi TUF élimine le contrepoids historique de la Cour supérieure. Ce transfert massif de compétence judiciaire est une instrumentalisation des tribunaux provinciaux par un exécutif qui a déjà exprimé le souhait de réduire la portée de la Cour supérieure: l'enjeu constitutionnel est majeur.»
Rappel des règles
De toute évidence, la Cour du Québec n’accepte pas que de tels sous-entendus viennent miner la confiance du public face à son indépendance et son impartialité. Elle rappelle ainsi, entre autres, qu’en 1997 «la Cour suprême du Canada a clairement établi que l’indépendance de la magistrature est un principe qui vise tous les tribunaux du pays, que les juges soient de nomination fédérale ou provinciale. Tous les juges prêtent le même serment de remplir fidèlement, impartialement et honnêtement tous les devoirs de leur charge et d’en exercer tous les pouvoirs.»
Elle souligne de plus que c’est le plus haut tribunal du pays qui a établi les conditions nécessaires à cette indépendance en ce qui a trait au processus de nomination et les conditions d’exercice pour l’ensemble des tribunaux du Québec, qu’il s’agisse de la Cour du Québec, de la Cour d’appel du Québec, de la Cour supérieure du Québec ou des Cours municipales.
Elle précise que la candidature des juges est évaluée par un comité indépendant composé d’un juge, d’un membre du Barreau, d’un membre de la Chambre des notaires et de deux représentants du public dont l’objectif est d’assurer «une évaluation juste et non partisane», que ces candidatures sont soumises au ministre de la Justice et que «le gouvernement nomme obligatoirement l’un des candidats recommandés par ce comité indépendant».
Ainsi, à aucun moment la Cour du Québec n'aborde-t-elle la création du TUF, mais se consacre exclusivement sur le fait que l’on ne saurait contester l’indépendance ou l'impartialité de ses magistrats qui, si le TUF voit le jour, devront assumer de nouvelles fonctions.
Craintes de la Cour supérieure
Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déjà réfuté l’argumentaire de Me Goldwater, soutenant, au contraire de l'avocate, que le nouveau tribunal réduira les délais et générera des économies pour le système judiciaire.
«Le Devoir» rapportait en mars dernier que La Cour supérieure elle-même a écrit au ministre Jolin-Barrette pour faire part de ses craintes de voir le TUF compliquer l’accès à la justice pour les familles et de semer la confusion puisqu’il ne pourrait traiter que les dossiers des parents qui sont unis civilement ou qui sont conjoints de fait. L’ensemble des questions qui touchent les couples mariés, le divorce et les questions qui en découlent relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral en vertu de la Constitution canadienne.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne