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Ingestion de plastique: une nouvelle maladie est décrite chez les oiseaux marins

durée 10h00
12 mars 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — L'ingestion de déchets de plastique cause chez des oiseaux marins une nouvelle maladie qui vient d'être décrite pour la toute première fois dans la littérature scientifique, la plasticose.

La maladie a pour le moment seulement été observée chez les puffins à pieds pâles qui habitent l'île Lord Howe, à environ 600 kilomètres au large des côtes de l'Australie, mais il n'y a aucune raison de croire que le même problème n'affecte pas d'autres oiseaux ou d'autres mammifères, a souligné l'auteur principal de l'étude.

«Il n'y a rien de spécial concernant la physiologie de ces oiseaux ou la composition du plastique», a précisé le professeur Alex Bond, le conservateur principal des oiseaux au Musée d'histoire naturelle de Londres, lors d'une conversation avec La Presse Canadienne.

«Les baleines ont tendance à manger du plastique mou, comme des sacs, et ça n'a peut-être pas le même impact. Mais pour les espèces qui ingèrent du plastique rigide, il n'y a rien de spécial au sujet de cette espèce, donc absolument, ça pourrait se produire chez d'autres animaux.»

Certains experts considèrent que les puffins à pieds pâles de l'île Lord Howe sont les oiseaux les plus contaminés par le plastique de toute la planète.

Plutôt que de simplement étudier les oiseaux dont la mort pouvait avoir été causée par du plastique, le professeur Bond et ses collègues se sont intéressés à ce qu'il a appelé «les impacts sous-létaux» du plastique ― à savoir, ce qui se passe à l'intérieur d'oiseaux qui peuvent paraître en pleine santé de l'extérieur.

Inflammation chronique

Les chercheurs ont constaté que les débris de plastique ingérés par les oiseaux sont à l'origine d'une inflammation chronique qui endommage l'estomac et le tract digestif des oiseaux, ce qui interfère ensuite avec leur croissance et leur survie.

Ces débris, a précisé le professeur Bond, «ne sont pas les microbilles (de plastique) qui inquiètent tout le monde» et peuvent avoir la taille d'une pièce de deux dollars. 

La plasticose touche plus précisément le proventricule, la première chambre de l'estomac des oiseaux. L'inflammation empêche les blessures causées à l'estomac des oiseaux par le plastique de cicatriser correctement. Une quantité anormale de tissu cicatriciel se forme alors, ce qui rend l'estomac moins flexible ― plus «lisse» qu'un estomac normal, a dit le professeur Bond ― et donc moins efficace lors de la digestion de nourriture.

Les chercheurs ont aussi constaté que les débris de plastique abîment les glandes tubulaires des oiseaux, ce qui peut les rendre plus vulnérables aux infections et aux parasites, en plus d'interférer avec l'absorption des vitamines.

«Plus ils ingèrent de plastique, plus la plasticose est grave dans leur estomac, a dit le professeur Bond, qui étudie les oiseaux de l'île Lord Howe depuis une quinzaine d'années. Mais les oiseaux qui ingèrent des morceaux durs naturels, comme des pierres ponces, n'ont pas la même réaction. Ça semble donc être associé à l'ampleur de l'ingestion de plastique.»

Aussi les oisillons

Et le problème n'est pas confiné aux oiseaux adultes. Jusqu'à 90 % des oisillons seraient contaminés par du plastique régurgité par leurs parents; dans les cas les plus extrêmes, les petits ne survivent pas tant leur estomac est rempli de plastique qu'ils sont incapables de digérer.

Les chercheurs britanniques ont aussi établi une corrélation directe entre la quantité de plastique dans l'estomac des oisillons et la longueur de leurs ailes. Ils ont également constaté une association entre le nombre de morceaux de plastique et le poids total de l'oiseau.

Les puffins à pieds pâles, a dit le professeur Bond, pondent leurs œufs vers la fin du mois de janvier. Quand les chercheurs arrivent sur place vers la fin avril, les oisillons sont âgés de 80 ou 90 jours et commencent à peine à émerger de leurs nichoirs sous-terrains.

«Donc tout le plastique qu'on retrouve dans les oisillons leur a été donné par leurs parents depuis 90 jours, a-t-il expliqué. Et on constate que les oisillons qui contiennent le plus de plastique sont de plus petits poids quand on les attrape, ou quand on les trouve morts sur la plage. Leurs ailes ont tendance à être plus courtes. La croissance de leur bec n'est pas terminée. Et il y a d'autres effets physiologiques, comme la chimie de leur sang ou les cicatrices dans leur estomac.»

Certains oisillons transportent 10 % de leur poids corporel en plastique, a-t-il ajouté, au moment où ils doivent s'envoler pour la mer du Japon, apprendre à se nourrir par eux-mêmes pour la première fois, et retrouver le chemin de l'île Lord Howe après cinq ans ― «donc certainement que ça a un impact», a dit M. Bond, qui compare la situation à un humain à qui on demanderait de courir un marathon sans entraînement, tout en ayant dans son estomac 10 % de son poids corporel en matière indigeste.

Cette étude permet aussi d'une certaine manière de prendre le pouls de l'écosystème marin, a-t-il souligné. Comparativement à d'autres contaminants environnementaux comme le mercure, les PFAS ou même les produits chimiques qui ont fait fondre la couche d'ozone, on en sait très peu au sujet de l'impact du plastique sur les écosystèmes, selon lui. Et si on veut améliorer la planète, il faut comprendre ce qui se passe.

«Il est difficile de mesurer le plastique en mer, a dit le professeur Bond. Les oiseaux marins peuvent essentiellement être nos yeux et nos oreilles. Plus les oiseaux marins sont en santé, plus on peut déduire que les océans se portent un peu mieux. Ils servent un peu de marqueur pour la santé de tout l'écosystème marin.»

Et quand on trouve un oiseau mort, a conclu le chercheur, il n'est pas vraiment important de savoir si son décès a été causé par le plastique. «On est pas mal certains qu'il n'y a rien de bénéfique pour un oiseau à avoir du plastique dans l'estomac», a-t-il laissé tomber.

Les observations du professeur Bond et de son équipe ont été publiées par le Journal of Hazardous Materials.

Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne