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La francophonie minoritaire se diversifie, s'affranchissant du Québec

durée 16h31
11 mai 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

3 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le mythe du «maudit Québécois», symbole des tensions linguistiques et historiques entre les francophones minoritaires du reste du Canada et ceux du Québec, disparaît peu à peu de la mémoire collective, au fur et à mesure que se diversifie la francophonie canadienne.

Cette expression incarne un sentiment d’indignation qui s’est installé dans les communautés minoritaires franco-canadiennes vers la moitié du XXe siècle en réaction à une poussée du nationalisme québécois, qui a écarté ces francophones des luttes linguistiques au pays.

Durant cette période, le Québec a «bâti un mur» autour de la province pour protéger la langue française et affirmer son indépendance, causant une fracture avec les autres francophones du pays, explique Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie.

«On peut notamment penser à René Lévesque qui, en 1968, les a qualifiés de “dead duck”», ajoute Justin Labelle, doctorant en anthropologie linguistique à l’Université de Montréal.

L’étudiant, qui a grandi en Abitibi-Témiscamingue, près de la frontière ontarienne, se rappelle avoir souvent côtoyé des franco-Ontariens depuis son jeune âge. À l’époque, il n’y voyait rien de spécial.

«En arrivant à Montréal pour mes études, j’ai remarqué que beaucoup de personnes étaient surprises d’apprendre l’existence de francophones dans les provinces majoritairement anglophones», raconte celui qui a documenté dans le cadre d'un travail de recherche les relations entre les communautés francophones du pays.

Durant cinq mois, Justin Labelle a séjourné dans sept villes de l’Alberta, du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Ontario pour aller à la rencontre de ces francophones, qui représentent plus de 900 000 Canadiens, mais dont le poids démographique est passé de 6% en 1971 à 3,3% en 2021, selon le dernier recensement.

À sa surprise, il a constaté que les tensions historiques avec le Québec s’étaient grandement amenuisées au fil du temps.

«Quand je leur demandais si le “maudit Québécois” existait encore dans leur discours, beaucoup me répondaient en riant», raconte M. Labelle, ajoutant que le sentiment de colère a cédé sa place à l’humour puisque l’expression se retrouve désormais au cœur de blagues.

«La douleur est moins importante qu’avant, mais si ça se retrouve dans des blagues, on se rend compte qu'il existe encore un sentiment», indique le doctorant en anthropologie linguistique. Maintenant, les francophones minoritaires cherchent à se dissocier de ce discours. Ils ne veulent plus se définir par opposition au Québec, mais plutôt comme franco-Manitobain ou franco-Albertain».

Les francophones minoritaires face à un paradoxe

Si le passage du temps a fait son travail pour cicatriser la fracture causée à partir des années 1950, Justin Labelle croit que la diversification de la francophonie canadienne y a contribué tout autant, puisque les nouveaux arrivants francophones sont moins enclins à «s'approprier l’héritage franco-canadien», et donc à reproduire les conflits du passé.

«Le visage de la francophonie au Nouveau-Brunswick a beaucoup changé avec l’immigration, ce qui redéfinit les questions identitaires depuis une dizaine d’années», remarque Martin Théberge.

L’immigration internationale francophone a permis «de redonner des forces» aux communautés francophones minoritaires, qui étaient en déclin à cause du manque de financement des institutions et d’un exode vers le Québec ou l’Acadie, des endroits où la langue de Molière est mieux protégée, indique le doctorant.

Au cours des dernières années, elle est devenue un élément essentiel à la survie de ces communautés, créant «un paradoxe», puisque certains craignent une dilution de la culture et une perte de l’histoire franco-canadienne avec l’arrivée de ces nouveaux francophones qui «ne s'identifient pas à la ceinture fléchée ou au chapeau rouge», selon M. Labelle.

En réponse à ces changements, des pistes de solution voient le jour dans certaines provinces pour rendre les communautés plus inclusives. Par exemple, la Société franco-manitobaine a changé de nom en 2017 pour devenir la Société de la francophonie manitobaine.

«D’un coup, on tombe dans une définition plus large et inclusive, ce que ça signifie d’être francophone au Manitoba», indique Justin Labelle.

«C’est un enjeu très courant, très contemporain pour les francophones minoritaires qui essaient de construire un pont entre l’immigration et la préservation de leurs héritages».

Samira Ait Kaci Ali, La Presse Canadienne

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