Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

La loi C-5 vue par d'ex-leaders autochtones qui ont vécu la saga Trans Mountain

durée 09h00
17 août 2025
La Presse Canadienne, 2025
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Le gouvernement fédéral ne peut ignorer les communautés autochtones au chapitre des grands projets d’infrastructure qu’il souhaite approuver, comme la construction d’oléoducs ou de mines. C’est ce que croient tant un regroupement autochtone qui était en faveur de l’expansion du pipeline Trans Mountain qu’une Première Nation qui s’y est fermement opposée.

L’agrandissement de Trans Mountain est le plus récent projet énergétique majeur à avoir vu le jour au Canada, non sans des années de contestation devant les tribunaux.

L’infrastructure agrandie, qui est entrée en fonction il y a un peu plus d’un an, permet l’exportation de pétrole canadien vers le marché asiatique. Le nouveau premier ministre fédéral, Mark Carney, qui a promis de faire du Canada une «superpuissance énergétique», vise justement une diversification des marchés.

Avec son projet de loi C-5 récemment adopté, M. Carney veut accélérer la réalisation de projets considérés par Ottawa comme étant «d’intérêt national», avec l’objectif de limiter les délais d’approbation à deux ans.

Des communautés autochtones déplorent ne pas avoir été consultées durant l’élaboration du projet de loi et craignent que la mise en œuvre de la nouvelle législation brime leurs droits. Neuf Premières Nations de l’Ontario se sont déjà adressées aux tribunaux pour contester C-5, appelée «Loi visant à bâtir le Canada».

Dans le cas de Trans Mountain, des consultations qualifiées d’inadéquates par les tribunaux avaient forcé l’ancien gouvernement de Justin Trudeau à refaire ses devoirs, ce qui a contribué à ce que plus de 10 ans s’écoulent entre le moment où le projet d’expansion a été proposé et la fin des travaux.

«Depuis, quelles leçons ont été tirées», a demandé La Presse Canadienne à des ex-leaders autochtones - l'une s'étant opposée à l'agrandissement de Trans Mountain et l'autre y ayant adhéré. S'attendent-ils à un scénario différent dans le cas de C-5?

«Aucune leçon n’a été tirée»

«Je pense que nous allons voir plus de Premières Nations se tourner vers les tribunaux», croit Leah George-Wilson, ancienne cheffe de la communauté britanno-colombienne Tsleil-Waututh.

Cette Première Nation a lutté en justice contre le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain, dont le tracé prend fin dans la baie Burrard (Burrard Inlet), qui fait partie de son territoire ancestral.

La contestation a forcé, en 2018, l’annulation d’une première approbation du projet qui avait été faite par le gouvernement Trudeau. La Cour d'appel fédérale avait conclu que la consultation de communautés autochtones et les évaluations environnementales menées n’avaient pas été adéquates.

Or, après que le gouvernement eut, de fil en aiguille, réapprouvé le projet en 2019, des Premières Nations comme celle de Tsleil-Waututh n’ont pas réussi à révoquer ce feu vert, malgré qu’elles aient poursuivi leur contestation devant les tribunaux.

C’est au cours de cette bataille judiciaire que le gouvernement du Canada a acheté l’oléoduc Trans Mountain alors que l’entreprise qui en était propriétaire, Kinder Morgan, s’apprêtait à se retirer.

Leah George-Wilson estime qu’«aucune leçon n’a été tirée» de cette saga, notant que le projet a été de l’avant.

«Encore aujourd’hui, (…) le gouvernement n’a pas répondu aux impacts significatifs que Trans Mountain a eus et continue d’avoir sur notre communauté», a soutenu, en entrevue, l’ancienne leader autochtone.

Dans le cas de C-5, elle n’est ni rassurée par la promesse de M. Carney de respecter l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 - qui garantit les droits ancestraux des peuples autochtones - ni par les rencontres qu’il a menées durant l’été avec des leaders autochtones.

Selon les échos qu’elle dit avoir reçus d’une de ces rencontres qui a eu lieu à Gatineau entre M. Carney et environ 200 représentants de Premières Nations, le dialogue n’était pas au rendez-vous, de sorte que des participants ne se sentaient pas réellement entendus par le gouvernement.

«Je ne pense pas que cette pièce législative va accélérer les projets du tout parce qu’ils vont finir devant les tribunaux», a-t-elle tranché.

L’Assemblée des Premières Nations tiendra, dans quelques semaines, son assemblée générale annuelle. L’ex-leader autochtone s’attend à ce que les inquiétudes face à C-5 soient l’un des principaux sujets de discussion.

Au-delà de son impression qu’«aucune leçon n’a été tirée» de la saga Trans Mountain, Mme George-Wilson voit surtout une «occasion manquée» pour que le gouvernement respecte ses propres obligations législatives.

«Vous n’aurez jamais l’unanimité»

L’ancien leader autochtone albertain Joe Dion croit, au contraire, que le gouvernement Carney respectera l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et honorera le principe du consentement libre et éclairé des Premières Nations.

«Que le gouvernement révoque ou aille à l’encontre de cet article serait une honte nationale. Alors je ne pense pas que ça va arriver», estime celui qui est à la tête du regroupement autochtone Western Indigenous Pipeline Group (WIPG).

WIPG rassemble plusieurs dizaines de communautés autochtones qui, en partenariat avec l’entreprise Pembina, souhaitent acquérir le pipeline Trans Mountain. Quand Ottawa a acheté l’oléoduc à Kinder Morgan en 2018, il a d’emblée signalé que son intention était de s’en départir, ce qui n’a toujours pas été fait.

Joe Dion croit que les choses ont bien changé depuis le début de la saga Trans Mountain. Selon lui, il est clair qu’avec C-5, l’intention du gouvernement Carney est d’impliquer pleinement les communautés autochtones dans les projets qui seront désignés comme étant «d’intérêt national».

«Le gouvernement dit maintenant que les Premières Nations et les groupes autochtones auront l’équité, auront une part dans ces projets. Quand Trans Mountain a commencé, il n’y avait pas du tout une promesse de ça. Nous avons dû nous battre et nous devons nous battre», a dit en entrevue M. Dion.

Joe Dion reconnaît que C-5 s’est attiré les critiques de bien des communautés autochtones, mais il est convaincu de l’intention du gouvernement de consulter adéquatement quand il sélectionnera des projets. «Vous n’aurez jamais l’unanimité, que ce soit parmi les Premières Nations ou non», a-t-il soutenu.

À son avis, les projets «qui affecteraient sévèrement» des communautés autochtones n’iront tout simplement pas de l’avant et ne seront pas sélectionnés comme étant d’intérêt national.

«Ce sera important que le gouvernement ait des Premières Nations à la table et que celles-ci soient d’accord avec ces projets», a-t-il dit.

Joe Dion aimerait que la vente de Trans Mountain à des intérêts autochtones serve de «modèle».

Le WIPG n’est pas le seul groupe autochtone à vouloir devenir propriétaire de Trans Mountain.

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne

app-store-badge google-play-badge