La ministre des Services aux Autochtones dit avoir la «tâche la plus difficile»


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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — En tant que première Autochtone à diriger le ministère fédéral responsable de la prestation de services aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, Mandy Gull-Masty sait qu'une tâche colossale l'attend.
Mais la nouvelle ministre des Services aux Autochtones sait aussi ce que signifie être assise des deux côtés de la table: en tant que ministre actuellement et, jusqu'à récemment, en tant que grande cheffe de l'organisme politique représentant 20 000 Cris du Nord du Québec.
«Je connais l'importance – la valeur – lorsque les gens viennent ici pour demander (des services)», a déclaré la nouvelle élue lors d'une entrevue avec La Presse Canadienne, jeudi, derrière un bureau encore vide de paperasse au centre-ville d'Ottawa.
«Et je pense que c'est vraiment important, surtout pour bon nombre de dossiers importants qui se trouvent actuellement dans des situations difficiles.»
Mme Gull-Masty hérite d'une série de dossiers importants de la ministre sortante Patty Hajdu, qui occupait ce poste depuis 2021. Parmi ces dossiers figurent la réforme du système de protection de l'enfance des Premières Nations et l'accès des communautés à l'eau potable et à des infrastructures fonctionnelles.
Bien que Mme Hajdu soit connue pour ses bonnes relations de travail avec les communautés autochtones, certains dirigeants autochtones, frustrés par la lenteur des changements dans les relations Couronne-Autochtones, l'ont accusée de ne pas en faire assez pour parvenir à un consensus sur ces dossiers.
«Personnellement, en tant qu'Autochtone, j'ai eu le sentiment qu'on m'a confié l'une des tâches les plus difficiles, car tous les regards sont tournés vers la première personne autochtone à occuper ce poste, a souligné Mme Gull-Masty. Les attentes seront très élevées.»
Interrogée sur la façon dont elle gérerait le fait de dire «non» aux dirigeants autochtones avec lesquels elle a travaillé si récemment, Mme Gull-Masty a répondu par une question de son cru.
«Qu'est-ce qui vous fait penser que je n'ai pas déjà dit "non" dans mes relations?, a-t-elle demandé. En fait, ça en fait partie.»
«Une relation est un échange, et parfois, dans cet échange, il y a des choses qui avancent et d'autres que non (…) J'ai l'impression d'avoir fait mes armes en tant que grande cheffe. J'ai aussi passé beaucoup de temps à être cliente de ce service. J'ai donc le sentiment de comprendre où se situent ces obstacles, où se situent les défis que je peux chercher à surmonter», a-t-elle ajouté.
Un optimisme prudent
Si la nomination de Mme Gull-Masty au ministère a marqué l'histoire, elle n'était pas la première Autochtone à se voir offrir ce poste.
L'ancienne ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, membre de la Première Nation We Wai Kai, s'était fait offrir le ministère des Services aux Autochtones par le premier ministre de l'époque, Justin Trudeau, mais elle l'a refusé, car elle aurait dû administrer des programmes en vertu de la Loi sur les Indiens, une loi à laquelle elle s'est opposée tout au long de sa carrière.
Les dirigeants autochtones de l'époque ont déclaré que la proposition de M. Trudeau de la transférer aux Services aux Autochtones était inappropriée, compte tenu du contrôle démesuré que le gouvernement fédéral exerce sur les peuples et les communautés autochtones.
Six ans plus tard, les experts en politiques autochtones se disent optimistes quant à la nomination de Mme Gull-Masty, même s'ils réfléchissent à ce que signifie avoir une femme autochtone à la tête du ministère.
Hayden King, directeur général du Yellowhead Institute, a déclaré que, même si Mme Gull-Masty occupe déjà l'un des postes les plus difficiles du gouvernement fédéral, son identité en tant que femme crie amène cela à «un autre niveau».
«Le nombre impressionnant de problèmes urgents à régler par (Services aux Autochtones Canada) sera écrasant, et cette responsabilité incombera désormais à une personne autochtone, une femme crie. Et d'une certaine manière, c'est le summum de la réconciliation», a soutenu M. King.
«Parce que maintenant, le Cabinet et le premier ministre pourront dire: "Voici la personne responsable de notre inaction. Voici la personne responsable de notre échec. Regardez, c'est une autre personne autochtone". Cela devient en quelque sorte un pion, voire un alibi, pour le gouvernement fédéral.»
Des tensions à prévoir
Veldon Coburn, professeur à l'Initiative de relations avec les Autochtones de l'Université McGill, a travaillé aux côtés de Mme Gull-Masty lorsqu'elle était grande cheffe du Grand Conseil des Cris. Il a salué son travail pour améliorer la vie des personnes et des communautés qu'elle représentait.
Mais «l'appareil gouvernemental avance à pas de tortue», a souligné M. Coburn, ajoutant qu'il se demande comment les dirigeants communautaires réagiront lorsque Mme Gull-Masty sera confrontée à des difficultés.
«Nous pourrions tenir des propos durs à l'égard de la personne qui occupe ce poste, mais maintenant, c'est l'une des nôtres qui en fait les frais», a-t-il ajouté.
«Et il se trouve que c'est une femme autochtone très forte qui ne peut pas répondre, car normalement, nous serions assis sur le même plancher que Mandy (…) Je frémis à l'idée qu'une personne autochtone doive dire non à d'autres Autochtones, et à la réaction négative que cela pourrait provoquer.»
«C'est une relation tendue. Elle n'a jamais été très amicale.»
Travailler avec le Cabinet
Mandy Gull-Masty a déclaré qu'ayant grandi en tant qu'enfant de la réserve crie, elle comprend certaines des frustrations et des réalités de la vie au sein d'une communauté autochtone.
Et même si la plupart de ses collègues du Cabinet ne partagent pas cette expérience, elle a dit avoir besoin qu'ils «veuillent travailler avec moi, qu'ils soient créatifs».
«Je suis très ouverte. J'aime explorer les possibilités, j'aime repousser les limites», a-t-elle fait valoir.
Mme Gull-Masty a déclaré avoir formé un «trio» avec la nouvelle ministre des Relations Couronne-Autochtones, Rebecca Alty, et la ministre des Affaires du Nord et de l'Arctique, Rebecca Chartrand, pour collaborer et soumettre les enjeux au premier ministre Mark Carney.
«J'ai besoin de sentir leur soutien, non seulement de la part du gouvernement, mais aussi de la part des personnes à qui je vais offrir des services, a-t-elle expliqué. Et pour faire du bon travail, j'ai besoin d'être entourée de leurs bénédictions, de leurs relations, d'être guidée par leurs aînés et de comprendre les souhaits de leurs jeunes.»
«Parce que leur priorité – ma priorité – est de former les prochaines générations grâce aux services que j'offre.»
Alessia Passafiume, La Presse Canadienne