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Le Canada apporte de l'aide face aux violences sexuelles liées à la guerre en Ukraine

durée 04h00
10 mars 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

OUJHOROD, Ukraine — Kseniya Horovenko, psychologue, les a accueillis dans une salle très éclairée, meublée de quelques chaises, divans et tables surmontées de petits drapeaux ukrainiens et canadiens.

Elle a entendu les histoires de tant de survivants – femmes, hommes et enfants aussi –  au cours de l'année qui a suivi l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Un conflit où plusieurs pays, dont le Canada, ont conclu que la violence sexuelle était utilisée comme arme de guerre.

«Ce n'est pas tout le monde qui en parle. Nous n'entendons que certaines choses», a affirmé Mme Horovenko par l'intermédiaire d'un interprète.

«Les gens veulent oublier beaucoup de choses.»

Elle coordonne un service d'aide financé par le Canada à Uzhhorod, une petite station balnéaire près de la frontière avec la Slovaquie, où les gens sont arrivés par milliers après avoir fui les territoires occupés par la Russie.

Le service a fourni un soutien à quelque 200 personnes survivantes de violences sexuelles et conjugales. Il représente l'une des nombreuses initiatives que le Canada a lancées par l'intermédiaire du Fonds des Nations unies pour la population, dans le cadre d'un programme d'aide de 7 millions $. Il y a aussi 9,7 millions $ destinés à enquêter sur les agressions sexuelles perpétrées par les troupes russes dans les territoires occupés et à les traduire en justice.

En octobre, la mission de surveillance des droits de l'homme des Nations unies en Ukraine avait documenté 86 cas de violences sexuelles liées au conflit contre des adultes et des enfants, notamment des viols collectifs, la nudité forcée, la torture et d'autres abus aux mains des forces russes.

Selon Mme Horovenko, la violence sexuelle va au-delà des crimes d'opportunité.

«La violence sexuelle est une humiliation, enlevant la liberté et la dignité d'une personne, a-t-elle soutenu. C'est la même chose dans le contexte de la guerre concernant ce que l'armée russe fait avec les Ukrainiens. C'est l'humiliation de la nation. C'est l'humiliation et la privation de dignité.»

«C'est pour dire: ‘‘Tu n'es personne. Tu n'es pas humain’’», a ajouté Mme Horovenko.

«Trop difficile d'être ici»

De nombreuses victimes ont été trop traumatisées pour rester en Ukraine, d'après Tetiana Machabeli, directrice de l'ONG Nehemiah, établi à Oujhorod, qui soutient les Ukrainiens déplacés de leurs communautés d'origine.

«C'était même trop difficile d'être ici», a-t-elle affirmé.

Le bruit des hélicoptères allant et venant de l'aéroport voisin a été un déclencheur pour de nombreuses femmes qui ont survécu à la violence sexuelle des troupes ennemies.

«Elles n'ont pas pu supporter cela, certaines d'entre elles sont même tombées par terre», a-t-elle relaté.

Son organisation et d'autres dans la région ont aidé certaines de ces femmes à se rendre à l'étranger dans des pays plus sécuritaires où elles ne se sentiraient pas exposées au même niveau de menace.

Un fléau qui demeure

Maintenant que les Ukrainiens ont vécu plus d'un an de guerre, les services d'aide tels que celui financé par le gouvernement canadien se retrouvent le plus souvent à fournir un soutien à ceux qui souffrent du type d'abus que l'on voit également en temps de paix : la violence conjugale.

La violence sexiste, ainsi que les stéréotypes, ont été normalisés dans de nombreuses familles de la région, a indiqué Mariana Stupak, une travailleuse sociale du centre financé par le Canada, par l'intermédiaire d'un traducteur.

Le service fournit également une maison sûre dans un endroit secret pour les survivantes et leurs familles, avec des berceaux, des lits superposés et des jouets pour les enfants, jusqu'à 20 jours pendant qu'elles déterminent leurs prochaines étapes.

De l'autre côté de la ville, dans un refuge pour femmes à Uzhhorod, le Canada a créé un espace sûr où les épouses de militaires ukrainiens et les survivantes de violences sexuelles et conjugales peuvent partager leurs histoires et guérir.

Des femmes de tous âges se sont réunies sur des canapés dans une pièce ensoleillée et remplie de plantes avec du café à la main et des biscuits sur la table. Le son de leurs rires résonnait dans les couloirs.

À l'étage, elles s'échangeaient des recettes dans une cuisine commune. Mais au bout du couloir, une femme qui a demandé à être identifiée par son prénom, Tatiana, sanglotait dans son écharpe en se rappelant la terreur qu'elle avait éprouvée aux mains de son petit ami.

Elle a dit qu'elle avait grandi en croyant qu'il était normal que le sexe soit transactionnel et que les hommes l'exigent d'elle, qu'elle le veuille ou non.

«Il m'a tellement étouffée que je me suis évanouie», a témoigné la femme par l'intermédiaire d'un interprète, les mains serrées autour d'un mouchoir en papier sur ses genoux.

«J'ai même contacté la police. Il s'est permis de dire dans une station de police: ‘‘Je t'étranglerai dès que tu sortiras.’’ La police n'a pas réagi.»

Elle a dit que son petit ami l'avait harcelée, payant même des chauffeurs de taxi pour lui faire savoir quand ils l'avaient repérée dans la rue.

La seule chose qui la faisait se sentir en sécurité était les services fournis par le Canada par le biais d'organisations comme le Fonds des Nations unies pour la population et Nehemiah, où elle pouvait partager son histoire sans se sentir jugée.

Elle comprend pourquoi tant de femmes abusées pendant la guerre ne veulent pas se manifester.

«Quelqu'un pense: ‘‘C'est de ma faute; peut-être que je lui ai tellement souri qu'il a fait ça, ou que je flirtais avec lui, et c'est ma récompense.’’ Mais la violence sexuelle est un crime contre le consentement d'une femme», fait-elle valoir.

Pire depuis la guerre

La violence sexiste existe en temps de paix dans le monde entier, y compris au Canada. Selon Mme Stupak, la guerre a toutefois encore aggravé les conditions des femmes dans les territoires occupés par la Russie.

«Nous avons déjà des cas où les auteurs sont des militaires qui sont revenus pour 10 jours de vacances, a-t-elle évoqué. Ça s'est compliqué à cause de la perception, des crises de panique, du stress, du stress chronique. Ça fait un an qu'on vit la guerre, et ce n'est pas la même vie qu'avant le conflit.»

L'ambassadrice du Canada en Ukraine, Larisa Galadza, a déclaré que le Canada investit dans des services comme celui-ci partout dans le monde dans le cadre de sa politique étrangère féministe. Cela prend davantage d'importance en période de guerre, a-t-elle précisé. 

«Une triste réalité de la guerre est qu'elle augmente les taux de violence, de violence sexiste et, bien sûr, de violence sexuelle liée aux conflits», a-t-elle affirmé en entrevue à l'ambassade du Canada à Kyiv, la capitale de l'Ukraine.

Les services ukrainiens qui soutiendraient normalement les victimes de violence conjugale pourraient ne plus fonctionner comme ils l'étaient avant l'invasion, a-t-elle mentionné.

«La tendance est de se concentrer sur la fourniture de munitions, de chars et de véhicules, sur l'aide humanitaire et de ne pas se soucier du reste. Notre politique garantit que nous conservons un large éventail de soutien, que nous ne laissons pas tomber ces choses, car c'est précisément à ce moment-là que nous devons fournir ces services aux femmes.»

Les larmes coulent immédiatement quand Kseniya Horovenko pense au traumatisme que son peuple a enduré depuis le début de l'invasion, en particulier ceux qui ont été victimes de violence.

Elle s'est dite tout de même heureuse de ne pas s'être désensibilisée à la douleur. «Sans cela, vous ne pouvez pas aider les gens», a-t-elle confié.

Même avec l'aide de son équipe, la psychologue estime que la plupart des gens ne pourront pas guérir tant que la guerre se poursuivra et qu'ils ne seront plus jamais les mêmes.

«Une personne traumatisée peut apprendre à vivre différemment, mais la cicatrice restera», souligne-t-elle.

Laura Osman, La Presse Canadienne