Le Canada et l'Europe pourraient unir leurs forces en matière de défense


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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Alors que le président américain, Donald Trump, continue de semer le doute sur l'avenir de l'alliance militaire de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), le Canada cherche à établir un partenariat avec l'Union européenne en matière de défense.
Les responsables canadiens ont cherché à réduire leur dépendance à l'égard du matériel américain, notamment depuis que M. Trump a évoqué, en mars, la possibilité de vendre à leurs alliés des versions «simplifiées» d'avions de chasse, moins performants que les avions américains.
Depuis plus d'un an, le Canada et l'Union européenne (UE) négocient un éventuel «partenariat en matière de sécurité et de défense».
Bruxelles a signé des accords similaires avec le Japon et la Corée du Sud, mais ils se sont principalement concentrés sur des exercices navals conjoints. L'accord avec le Canada porterait sur l'approvisionnement en matière de défense, selon des responsables des deux côtés de l'Atlantique.
Dans un livre blanc publié en mars décrivant l'approche de l'UE à l'égard des industries de défense, l'Union européenne a déclaré que «notre coopération avec le Canada s'est intensifiée et devrait être encore renforcée (…) notamment sur des initiatives respectives visant à stimuler la production industrielle de défense».
Christian Leuprecht, professeur de sciences politiques à l'Université Queen's et au Collège militaire royal, a déclaré que les deux parties peuvent s'appuyer sur le fait que «les entreprises européennes investissent déjà massivement et largement au Canada, notamment dans la défense».
Une défense revitalisée
En mars, la Commission européenne a dévoilé ReArm Europe, un plan qui consacrerait jusqu'à 1250 milliards $ CAN à la défense sur cinq ans.
Il ne s'agit pas d'un programme de subventions, mais plutôt d'un programme de prêts qui permettrait aux États membres de s'endetter davantage pour financer leur défense, sans déclencher les restrictions imposées par l'UE aux États membres présentant des déficits excessifs.
Federico Santopinto, chercheur principal à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), établi à Paris, a déclaré que les pays de l'UE déterminés à réduire leurs dépenses en raison du coût élevé des emprunts ne s'endetteront probablement pas davantage, malgré ReArm.
ReArm propose néanmoins un programme de prêts d'environ 235 milliards $ CAN, appelé Security Action For Europe (SAFE), qui permettrait aux pays de collaborer avec d'autres pays extérieurs à l'Union européenne pour acheter ou fabriquer conjointement des armes.
Le programme est encore en cours de négociation et pourrait n'autoriser de tels partenariats qu'avec des pays ayant signé des accords de sécurité et de défense avec l'UE. Le Canada n'a pas encore conclu un tel accord.
Le premier ministre Mark Carney a été élu sur un programme qui promettait de promouvoir «la participation du Canada au plan ReArm Europe en soutien à la sécurité transatlantique».
Le professeur de sciences politiques Christian Leuprecht a estimé que «même une fraction de cet argent» consacré à ReArm serait vitale pour une économie canadienne aux prises avec le poids des droits de douane américains.
La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a déclaré il y a un mois qu'elle s'attendait à un accord de défense avec l'Europe «dans les prochains mois. Elle a ajouté que cet accord pourrait être très avantageux pour les entreprises de l'aérospatiale et de l'intelligence artificielle de Montréal et pour les Chantiers Davie, près de Québec.
Un bon partenaire
Depuis des années, les alliés d'Ottawa pressent le Canada d'atteindre la ligne directrice des dépenses de défense des membres de l'OTAN, soit 2 % du produit intérieur brut (PIB), un objectif qu'Ottawa n'a pas atteint depuis que l'alliance l'a fixé en 2006.
Cette pression s'intensifie depuis que la Russie a lancé sa guerre contre l'Ukraine, et particulièrement depuis que Donald Trump a commencé à suggérer que les États-Unis pourraient ne pas venir en aide aux alliés de l'OTAN qui n'atteignent pas cet objectif.
Craignant que les gains territoriaux en Ukraine n'encouragent Moscou à envahir des pays comme la Lettonie, où des troupes canadiennes servent dans le cadre d'une mission de dissuasion, les pays européens envisagent déjà d'augmenter la cible de dépenses de l'OTAN à 2,5 % ou 3 %.
Les responsables de l'UE affirment souvent que le Canada est l'un de leurs plus proches partenaires et partage des valeurs communes. Ottawa participe déjà à des programmes de l'UE, comme le programme de coopération structurée permanente, qui permettent une certaine collaboration entre l'industrie de la défense et le Canada.
Mais le Pr Leuprecht a souligné que les dirigeants européens sont restés largement silencieux sur les propos du président américain concernant l'annexion du Canada.
«Ce silence stupéfiant (…) en dit long sur l'opinion des Européens quant à la fiabilité du Canada», a-t-il commenté. M. Leuprecht attribue ce silence à ce qu'il considère comme l'insuffisance des dépenses de défense du Canada et à son incapacité à exporter de l'énergie, comme le gaz naturel liquéfié (GNL), outre-Atlantique. Il soupçonne que cela explique pourquoi un tiers des États membres de l'UE n'ont toujours pas pleinement ratifié l'accord commercial avec le Canada.
L'économie canadienne est à peu près aussi importante que celle de la Russie, a-t-il dit, mais Moscou est beaucoup plus efficace pour promouvoir ses objectifs stratégiques.
«Il existe une croyance répandue en Europe selon laquelle le Canada n'a pas été un partenaire fiable et digne de confiance lorsque l'Europe avait besoin de lui», a expliqué le professeur de sciences politiques, ajoutant qu'il serait plus difficile pour le Canada de manquer ses objectifs de dépenses de défense lorsqu'ils sont fixés avec un autre pays.
«Voici l'occasion pour le Canada de démontrer à l'Europe que nous sommes prêts à être le partenaire fiable que nous avons été par le passé», conclut M. Leuprecht.
Dylan Robertson, La Presse Canadienne