«Le chemin est long»: un réfugié syrien profite d'un nouveau départ à Montréal


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Lorsque Jad Albasha est arrivé au Québec en 2016, à l'âge de 21 ans, fuyant sa Syrie natale déchirée par la guerre, il a atterri dans un univers enneigé où l'on parlait français, une langue dont il ne comprenait pas un seul mot.
Mais aujourd'hui, on pourrait croire qu'il a vécu ici toute sa vie.
Sa remise de diplôme de maîtrise en génie civil à Polytechnique Montréal, samedi, marquera une nouvelle étape qui témoignant de tout le chemin qu'il a parcouru.
Il est passé du statut d'étudiant en génie civil en Syrie, à seulement six mois de l'obtention de son diplôme, à celui de quelqu'un qui se demandait s'il allait devoir travailler pour toujours dans une épicerie à Laval.
«On se dit, le chemin est tellement long. Est-ce que je vais y arriver?», a admis M. Albasha en entrevue. «Neuf ans plus tard, on voit que c'est possible de franchir des étapes.»
L'homme de 30 ans a décidé de s'immerger dans le français dès son arrivée. D'abord, en suivant un cours de francisation pour apprendre les bases en mars 2016 durant environ neuf mois. L'objectif était de parler français avec le moins d'erreurs possible.
Puis, il s'est inscrit à un programme d'études collégiales qui lui permettrait éventuellement de reprendre ses études universitaires.
Cependant, ses relevés de notes et les documents manquants de Syrie ont conduit à son refus par presque toutes les universités locales pour cause de dossiers incomplets. À l'exception d'une seule: Polytechnique Montréal.
L'école d'ingénieurs, affiliée à l'Université de Montréal, accueille un important groupe d'étudiants internationaux. Neuf ans plus tard, il maîtrise parfaitement le français. Assez pour travailler comme auxiliaire d'enseignant à Polytechnique.
«Merci, bonjour, bonsoir», telle était la limite de son français en janvier 2016, se souvient-il lors d'une entrevue.
«Je me rappelle, même avant de commencer mes cours, je travaillais dans un supermarché. Je n'étais même pas caissier, j'étais aide-caissier parce que je n'étais pas capable de parler aux clients.», a raconté M. Albasha.
«À chaque fois que quelqu'un me posait une question en français, j'orientais la question vers quelqu'un qui parlait français.»
En janvier 2013, les attentats à la bombe à l'Université d'Alep ont fait 78 morts et ont convaincu la famille qu'il était temps de quitter le seul foyer qu'ils avaient connu.
Sa famille, dont un frère jumeau, un frère aîné et ses parents, a brièvement séjourné au Liban avant que le gouvernement libéral de Justin Trudeau n'accélère le traitement des demandes d'asile syriennes, leur permettant ainsi de venir au Canada pendant quelques mois.
Aujourd'hui encore, la neige montréalaise lui rappelle son arrivée au pays. Il associe les flocons frais à une sorte de renouveau.
«C'est un symbole de bonheur pour moi, une nouvelle chance, un nouveau départ».
Il travaille pour le groupe AtkinsRéalis, où il se spécialise dans les barrages hydroélectriques, une priorité pour l'avenir économique du Québec, selon le gouvernement provincial actuel.
Construire le Québec
Il ne voit pas sa famille retourner à Alep. Tous ses amis sont soit dispersés à travers le monde, soit sont morts à la guerre. C'est à Montréal que les fondations de la famille ont été posées.
La présidente de Polytechnique Montréal, Maud Cohen, est d'avis que M. Albasha démontre l'importance pour le Québec de recruter davantage d'ingénieurs dans un contexte de vieillissement de la population et de déficit démographique.
«Les ingénieurs construisent véritablement le Québec; ils sont responsables de l'innovation, de la créativité, de tout ce qui se passe dans le domaine des technologies, de la haute technologie», a souligné Mme Cohen.
«Autant faire venir des étudiants comme celui-ci, formés ailleurs et susceptibles de contribuer plus rapidement à l'économie, et qui ont le potentiel d'être formés ici.»
«Nous avons besoin de plus de personnes comme Jad (…) et il ne s'agit pas de diminuer le rôle de ceux qui vivent déjà ici.»
En décembre dernier, le Québec a adopté une loi limitant les demandes d'admission d'étudiants internationaux, dans le but ultime de réduire l'immigration globale.
Alors que les étudiants internationaux sont confrontés à une interdiction imposée par le gouvernement américain et que les établissements canadiens cherchent à tirer profit de la fuite des cerveaux due aux coupes budgétaires aux États-Unis, Mme Cohen a un message pour le gouvernement: «Aidez-nous à vous aider.»
«Nous recrutons des étudiants de haut niveau. Comment pouvons-nous collaborer pour vous aider à répondre aux besoins de l'économie et pour nous aider de la même manière, soit en finançant, soit en augmentant nos quotas de recrutement.»
M. Albasha est un exemple pour les autres. Il est une ressource précieuse pour de nombreuses personnes qui tentent de prendre un nouveau départ.
«Malheureusement, je n'avais pas rencontré quelqu'un qui avait fait un parcours similaire au mien. Alors, je n'avais pas cet exemple-là», a-t-il expliqué.
Mais tout le monde mérite une chance, peu importe d'où l'on vient. Lors d'une récente présentation à Winnipeg, M. Albasha s'est rendu au Musée canadien pour les droits de la personne. Une citation était inscrite au mur: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.»
«J'ai trouvé cela profond et vrai. Des fois, on n'est pas chanceux, mais il ne faut pas oublier que, si on persévère, on peut y arriver dans la plupart des cas.»
Sidhartha Banerjee, La Presse Canadienne