Le corps accueille les aliments ultratransformés comme un intrus


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Les aliments ultratransformés provoquent dans l'organisme une réaction qui ressemble de près à celle suscitée par un pathogène, prévient une nouvelle étude ontarienne.
Les chercheurs ont ainsi mesuré une association robuste entre la consommation de ces aliments, la présence de la protéine C réactive — que le foie produit en réponse à l'inflammation — et une augmentation des globules blancs.
«C'est fou et c'est épeurant, a dit l'auteure de l'étude, la doctorante Angelina Baric du département de kinésiologie de l'université McMaster. Cette étude nous révèle ce qui se passe dans le corps avant l'apparition de la maladie. Quel est l'impact de ces aliments chez une personne qui semble en santé?»
Quand on consomme ces aliments, a-t-elle ajouté, notre organisme les voit non pas comme de la nourriture, mais comme un corps étranger. Et c'est essentiellement ce que sont ces aliments, a dit Mme Baric: «Ce ne sont pas des aliments entiers. Ce sont des substances extraites d'aliments ou de formulations chimiques. Et c'est ainsi que notre corps les détecte.»
L'équipe a analysé les données de plus de six mille adultes à travers le Canada, représentant un large éventail d'âges, de conditions de santé et de milieux socio-économiques.
Les sujets ont rempli un questionnaire dans le cadre de l'enquête canadienne sur les mesures de la santé, menée par Santé Canada et Statistique Canada, et ont ensuite été évalués personnellement dans des cliniques mobiles.
Les plus grands consommateurs d'aliments ultratransformés étaient plus susceptibles d'être des hommes, d'avoir des revenus moindres, d'être moins éduqués et de rapporter une consommation plus faible de fruits et légumes.
Les participants consommaient, en moyenne, plus de trois portions d'aliments ultratransformés par jour, mais ceux qui en consommaient le plus affichaient une moyenne de six portions par jour. Les chercheurs croient que ces aliments finissent par remplacer des aliments plus sains, comme les fruits et légumes.
«L'augmentation du nombre total de portions alimentaires est corrélée à une consommation plus élevée d'aliments ultratransformés, mais à une consommation plus faible de fruits et légumes, ce qui suggère le remplacement des aliments non transformés/peu transformés par des aliments hautement transformés dans le régime alimentaire des adultes canadiens», écrivent ainsi les auteurs de l'étude.
Aucun effet protecteur n'a été associé aux fruits et légumes parmi les participants qui en consommaient le plus, a souligné Mme Baric, «ce qui nous a surpris, quand on sait à quel point les fruits et légumes sont bons pour notre santé».
Les aliments ultratransformés sont ceux qui ont été produits industriellement et qui contiennent des ingrédients que l’on ne trouve généralement pas dans une cuisine familiale, comme des émulsifiants, des agents de conservation, des colorants et des arômes artificiels.
Cette vaste catégorie comprend des produits tels que les boissons gazeuses, les nouilles instantanées et les croustilles, ainsi que des aliments moins évidents comme les yaourts aromatisés et les pains complets préparés dans le commerce.
Selon les données les plus récentes dont on dispose, les aliments ultratransformés représentent près de 45 % de l’apport énergétique quotidien des Canadiens de 20 ans et plus.
Les auteurs de la nouvelle étude ont noté que de nombreuses associations entre la consommation d'aliments ultratransformés et les facteurs de risque cardiométaboliques restaient significatives même après ajustement pour l'indice de masse corporelle, ce qui suggère que ces aliments peuvent influencer la santé par des mécanismes allant au-delà de la prise de poids.
Qui plus est, ces associations persistaient après ajustement pour l'activité physique, le tabagisme, la quantité totale d'aliments consommés et des facteurs socio-économiques, notamment le revenu et l'éducation.
«Il est évident que ces aliments sont riches en sodium, en graisses, en sucre et en calories, et que ça joue un rôle, a dit Mme Baric. Mais ce n'est pas tout le portrait. De nombreuses recherches indiquent que cette association va au-delà des nutriments.»
Quand on regarde la liste des ingrédients, a-t-elle ajouté, «on voit que plein de nouvelles choses ont été introduites dans notre alimentation et on dirait que notre organisme les rejette».
D'autres mécanismes potentiels, au-delà de la composition des nutriments, ont été proposés pour expliquer l'effet des aliments ultratransformés sur la santé, selon les auteurs. Par exemple, les méthodes de transformation modifient la biodisponibilité des nutriments de ces aliments.
Les aliments ultratransformés sont aussi hyperglycémiants, rappellent les auteurs, ce qui entraîne une augmentation rapide de la glycémie. En outre, des recherches commencent à mettre en cause l'utilisation d'additifs alimentaires dans la perturbation du microbiote intestinal, pour laquelle un certain nombre d'effets négatifs sur la santé ont été établis.
L'exposition aux phtalates et au bisphénol-A provenant des méthodes de transformation des aliments et des emballages peut également jouer un rôle dans la médiation de certains des effets observés sur la santé.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal Nutrition & Metabolism.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne