Le milieu communautaire alerte le gouvernement face à une pénurie d'autotests du VIH


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Un programme ponctuel d'Ottawa — lancé en marge de la 24e Conférence internationale sur le sida à Montréal à l'été 2022 — a permis l'achat et la distribution de trousses d'autotests du VIH, jusqu'en mars 2024. Depuis, et bien que le dépistage soit de compétence provinciale, Québec n'a pas repris le flambeau et le milieu communautaire tire désormais la sonnette d'alarme face à des stocks d'autotests vides depuis des mois.
Québec soutient qu'il est toujours possible de s'en procurer, mais directement auprès du fournisseur et moyennant une trentaine de dollars pour chaque trousse d'autotest.
«Cette initiative (du gouvernement fédéral) se voulait ponctuelle. Elle a été reconduite pour une année, mais le financement a pris fin en mars 2024. Il n’y a donc pas de pénurie d’autotests, c’est le programme de financement du fédéral qui a pris fin», assure le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
La Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA) demande le retour du programme fédéral de distribution gratuite d'autotests. Elle explique essayer de «trouver entre-temps des montants dans les budgets déjà trop serrés pour en acheter, ou bien propose des projets qui peuvent inclure l'achat ou le don d'autotests».
«Sans le programme fédéral, l'autotest est un outil qui coûte trop cher pour combler les besoins des organismes communautaires ou des individus qui n'ont pas les moyens de les acheter, explique le directeur général de la COCQ-SIDA, Ken Monteith. Le programme fédéral a permis l'achat à moindre prix par le gouvernement à cause de volumes d'achats. Donc, on peut conclure qu'il y a une pénurie d'autotests au Québec, faute de moyens de les acheter, mais pour le MSSS, ce n'est pas quelque chose qu'ils peuvent suivre, n'étant pas parmi les acheteurs.»
L'organisme montréalais RÉZO, qui fait la promotion de la santé et du bien-être des hommes gais, bisexuels, cis et trans, a été un grand distributeur de ces autotests et déplore cette pénurie. Depuis trois ans, il s'installe tout l'été en plein cœur du Village avec sa «Zone rose» pour permettre à quiconque le souhaite de se faire dépister gratuitement.
«L’établissement de la 'Zone rose' est en réponse au manque de ressources gratuites de dépistage, explique le directeur général de RÉZO, Alexandre Dumont Blais. C’est pour pallier le fait qu’il est parfois difficile d’avoir un dépistage ITSS, car, dans les cliniques, il y a un problème de ressources infirmières.»
À l'été 2023, RÉZO y a distribué gratuitement près de 500 autotests, et près de 170 à l'été 2024, soit quelques mois après l'arrêt du financement. Cette année, l'organisme espère pouvoir distribuer au maximum une centaine d'autotests qu'il a dû quémander auprès d'autres organismes.
«C’est une stratégie de prévention du VIH, on se questionne donc pourquoi les différentes instances de santé au Québec ne mettent pas plus d’énergie, tant financier, que de faire la promotion de cet outil, s'interroge M. Dumont Blais. On a encore des personnes qui viennent à RÉZO pour nous demander des autotests gratuits du VIH, mais on doit leur dire qu’on n'en a plus et on doit les référer vers d’autres endroits où ils vont probablement devoir payer pour l’avoir, ou sinon, vers une clinique de dépistage.»
Il assure que les instances de santé sont au courant depuis plusieurs mois de la pénurie d'autotests. Alexandre Dumont Blais explique avoir songé à l'idée d'acheter directement des autotests au fournisseur, mais qu'il était impossible pour RÉZO de le faire par manque de fonds.
«Pourquoi ne pas se prémunir d’une stratégie qui fonctionne et qui peut, avec l'ensemble des autres stratégies, contribuer à prévenir des nouveaux cas de VIH, ajoute-t-il. Réduire l’accès à l’autotest, c’est s’enlever un outil intéressant pour nos communautés et qui fonctionne dans d’autres pays et villes.»
Alexandre Dumont Blais assure que l'autotest permet de rejoindre des communautés plus isolées, des personnes qui ne veulent pas dévoiler leurs pratiques sexuelles ou qui n'ont pas de carte RAMQ, tout en initiant une discussion au sujet de la prévention au VIH.
«Ne pas pérenniser cet outil, c’est s’enlever des chances de capter des personnes qu'on n'aurait autrement pas captées ou qui n’auraient pas eu accès aux stratégies en place», ajoute M. Dumont Blais.
Depuis son lancement il y a trois ans, la «Zone rose» aurait permis à trois personnes de découvrir leur séropositivité.
Hausse des nouvelles infections au Québec
La Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal décrit l’autotest comme étant «une stratégie complémentaire de dépistage, susceptible de lever certains obstacles à l’accès aux services de dépistage traditionnels».
«Dans le contexte de la fin du programme fédéral, nous nous efforçons d'améliorer l'accès à l'autotest en recherchant des mécanismes de financement alternatifs et en encadrant son utilisation», indique la DRSP.
En 2022, l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) faisait état d'une hausse de 24,9 % des cas signalés à travers le pays. Le Québec se retrouvait alors au troisième rang des provinces avec le plus haut taux de cas par 100 000 habitants. Selon l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 917 cas ont été enregistrés cette année-là à travers la province.
Dans son dernier rapport annuel sur le VIH, daté de 2022, l'INSPQ indique que «le nombre de nouveaux diagnostics d’infections par le VIH a augmenté de plus de la moitié chez les hommes et a plus que triplé chez les femmes entre 2021 et 2022». Le rapport conclut également que plus des trois quarts des personnes nouvellement diagnostiquées en 2022 n’avaient jamais eu de test de dépistage du VIH auparavant.
Le MSSS n'a pas répondu aux questions de La Presse Canadienne concernant le nombre d'autotests dont disposerait actuellement la province.
L'unique autotest approuvé par Santé Canada repose sur l’analyse d’une goutte de sang que l’on prélève sur le bout du doigt et que l’on dépose dans une solution réactive à la présence d’anticorps VIH. Le résultat du test se révèle en moins d’une minute et se veut facile à interpréter.
Un enjeu budgétaire?
Le président-directeur général de la Clinique l’Actuel, le Dr Réjean Thomas, qui a été témoin au plus près de la crise du VIH/SIDA au Québec, se désole de voir que le «plus grand défi actuellement dans la lutte contre le VIH/SIDA, c’est le définancement».
«Ce qui me rend triste après 40 ans de lutte contre le sida, c’est de voir comment les populations homosexuelles, toxicomanes, immigrantes, sont des populations qui n’ont pas toute l’attention qu’on devrait leur donner, dit-il. Ce sont des populations vulnérables, donc il faut travailler contre leur vulnérabilité et ce n'est pas en coupant les autotests VIH qu'on fait ça.»
Son confrère le Dr Jean Robert, qui a créé et exerce au centre communautaire Le Dispensaire, à Saint-Jérôme dans les Laurentides, a lui aussi vu l'évolution de la lutte contre le VIH/SIDA depuis les 40 dernières années.
«Ils ont un champ de bataille, le budget, explique le Dr Robert au sujet des politiciens. Ils ignorent totalement ce qui se passe sur le terrain, c’est des humains, c'est des personnes, et si c’était votre fille, monsieur le ministre?»
Le Dr Robert reconnaît l'utilité en région des autotests pour rejoindre des populations plus isolées et invite à «réhumaniser» le système de santé.
«C’est honteux, c’est de la marchandisation que d’être obligé de se battre pour trouver le pain à manger pour avoir accès au dépistage. Le sida, c’est passé de mode, la COVID, c’est passé de mode, et de pandémie en pandémie, on apprend beaucoup de choses, mais on s’en rappelle plus, s'exclame le médecin. Si on n'a pas accès ou plus accès à cet outil-là, on lâche prise et on laisse le virus mener.»
Une motion votée, mais oubliée
Le député et porte-parole en matière de santé de Québec solidaire (QS), Vincent Marissal, a présenté en novembre 2024 une motion conjointe afin de reconnaître l’importance de prioriser la lutte contre le VIH et autres ITSS et la nécessité d’améliorer l’accès au dépistage et aux traitements. Bien qu'adoptée dans la foulée à l'Assemblée nationale, le député solidaire déplore la «gêne et l'abandon» du gouvernement caquiste dans ce dossier.
«Le gouvernement vote une chose et fait le contraire. On s’était entendu qu’il fallait qu’on fasse plus ou mieux, assure Vincent Marissal. Le ministre (de la Santé, Christian) Dubé avait reconnu lui-même qu’on avait baissé la garde et qu’on avait reculé depuis des années.»
Il affirme que le Québec «a commencé à reculer» et dit craindre que «si on maintient ces politiques absurdes là, ça va être exponentiel et là, on va se mettre à sérieusement reculer».
«Le Québec est non seulement en train de perdre sa place de leader, mais on est aussi en train de condamner des gens alors qu’il s’agit tout simplement de pure prévention et d’autotests, ajoute M. Marissal. La simple logique financière ne tient pas la route.»
Vincent Marissal dénonce les pratiques des instances gouvernementales qui se renvoient mutuellement la balle lorsqu'elles sont questionnées au sujet du VIH/SIDA.
«Si on n'est pas capable de financer correctement les programmes VIH/SIDA, si on reconnaît des reculs et qu'on est en train de perdre cette bataille-là, la responsabilité politique, elle revient au ministre de la Santé, ajoute M. Marissal. On a été très en retard à une certaine époque, on avait récupéré le retard, on était même parmi les meilleurs au monde et on est en train de l'échapper, c'est incompréhensible.»
Quentin Dufranne, La Presse Canadienne