Le Québec célèbre la Journée nationale des peuples autochtones sous fond de tension


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Les communautés autochtones et allochtones célèbrent ensemble ce samedi la Journée nationale des peuples autochtones. Au Québec, comme à travers le pays, les sentiments sont partagés alors que des législations fédérales et provinciales font craindre à un recul des droits des Premières Nations.
Plus d’une centaine de personnes se sont donné rendez-vous au Vieux-Port de Montréal samedi midi, pour célébrer ensemble le début de l’été ainsi que les cultures autochtones locales.
L’aînée mohawk, Sedalia Fazzio, a ouvert la traditionnelle cérémonie avec l’allumage du feu du jour devant le centre des sciences de Montréal. Des danseurs mohawks ont ensuite déambulé au milieu de la foule et une cérémonie du tabac a eu lieu.
«La vraie importance de cette journée est que le monde commence à savoir qu’on est là, qu’on a toujours été là et qu’on n’ira nulle part, a expliqué Sedalia Fazzio à La Presse Canadienne. Il y a un changement du côté des Autochtones et des non-Autochtones, ça s’en va bien, mais les non-Autochtones ont encore beaucoup à apprendre.»
Elle déplore le fait que trop de personnes ne connaissent toujours pas l’histoire et les politiques coloniales du Canada.
«Ils ne connaissent pas l’histoire du tout, mais ils ont toujours quelque chose à dire, a affirmé Sedalia Fazzio. Ça a pris les marches pour 'Idle no more' et à cette époque, il y avait bien du monde contre nous, mais aujourd’hui ils s’en viennent et sont de notre côté, car ils apprennent la vraie histoire.»
L’aînée Mohawak s’est dite optimiste quant à la jeune génération d’autochtones, mais aussi face à une jeunesse allochtone davantage éduquée.
«Les jeunes autochtones sont plus heureux d’être autochtones que nous autres quand on était jeunes, a ajouté Sedalia Fazzio. Quand j’étais jeune, je voulais être blonde aux yeux bleus et mettre du Javelex, car j’étais trop foncée, mais aujourd’hui, les jeunes ne sont pas comme ça, ils sont fiers d’être autochtones, d’avoir les cheveux noirs et la peau plus foncée que les autres.»
Des législations qui inquiètent
Pour le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), Francis Verreault-Paul, cette journée est avant tout une célébration des cultures autochtones et un échange entre nations, mais «on est plus que jamais rendu au moment où on doit entamer le processus de réconciliation législatif».
«On sent la pression, il y a un contexte géopolitique mondial qui met de la pression et cette pression-là se fait ressentir chez les Premières Nations d'ici, a expliqué à La Presse Canadienne le chef Verreault-Paul. Les Premières Nations ont des droits ancestraux sur ce territoire et, afin d’avancer ensemble, ces droits doivent être respectés.»
Dans le viseur du chef Verreault-Paul, le projet de loi 97 du gouvernement québécois, qui prévoit entre autres de revoir le zonage forestier.
«Il y a un consensus sur l’insatisfaction et une certaine grogne face au PL97 qui touche le cœur de nos nations, on doit rester mobilisé en tant que Premières Nations pour s’assurer que nos droits soient respectés, explique le chef Verreault-Paul. Les gens sont libres de pouvoir exprimer leur mécontentement, j’espère juste que ça n’ira pas dans la désobéissance civile et que ça se fasse de manière pacifiste et dans le respect.»
Selon lui, il est important de rappeler au gouvernement l’importance de la forêt pour les Premières Nations qui représente «le cœur de nos nations».
«Le projet de loi actuel doit être totalement réformé, car ça met en péril la pérennisation des forêts, la reconnaissance de nos droits, la biodiversité, donc il faut trouver un équilibre», a ajouté le chef de l’APNQL.
Présent au rassemblement, le ministre québécois responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, a assuré que ce «n’était pas la bonne journée» pour parler du litige entourant le projet de loi 97.
«C’est une journée de réflexion, pour célébrer les langues et cultures, a affirmé Ian Lafrenière. Effectivement, ce qu’on met en place comme législation et ce qu’on fait comme gouvernement ont un impact sur les Premières Nations.»
Le projet de loi C-5 adopté sous bâillon par Ottawa fait aussi surgir la crainte d’être de nouveau invisibilisé dans les processus de consultation.
«Par le passé, l’aspect de consultation et consentement n’était vraiment pas au rendez-vous et là, on voit un projet de loi qui va accélérer les choses, explique le chef Verreault-Paul. Il peut y avoir des opportunités avec cet aspect géopolitique où on change un peu tous notre fusil d’épaule, mais reste qu’avant ça, le respect des peuples autochtones ne doit pas être écarté comme cela a pu être le cas dans le passé.»
Selon un organisateur de l’évènement, plusieurs invitations ont été envoyées, en vain, à Ottawa pour assister à la cérémonie.
Quentin Dufranne, La Presse Canadienne