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L’appellation «pétrole décarboné» utilisée par le premier ministre est contestée

durée 09h45
8 juin 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — L’expression «pétrole décarboné» utilisée par le premier ministre Mark Carney est contestée, voire rejetée par certains experts, puisque la combustion du pétrole émettra toujours du carbone, peu importe la façon dont le pétrole est produit.

Le pétrole est composé principalement de carbone et d'hydrogène, ce qui fait dire au professeur de sciences du climat à l'Université Concordia Damon Matthews que l’expression «pétrole décarboné» est un oxymoron.

«C’est un terme qui est trompeur et qui réfère à quelque chose qui n’existe pas et qui n’existera jamais», souligne le professeur à La Presse Canadienne.

Le gouvernement fédéral a utilisé ce terme, notamment dans le communiqué final de la rencontre de Mark Carney avec les premiers ministres des provinces et des territoires, en début de semaine.

«Les premiers ministres ont convenu que le Canada doit travailler de toute urgence à acheminer les ressources naturelles et les produits canadiens vers le marché intérieur et les marchés internationaux, comme les minéraux critiques et le pétrole canadien décarboné par oléoduc», peut-on lire dans le communiqué du gouvernement.

Le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, Normand Mousseau, ne croit pas que cette appellation soit trompeuse, mais il est d’avis que le gouvernement «devrait être plus clair», car «l'expression utilisée laisse entendre que tout est décarboné alors qu'on ne réfère qu’à la production».

La majorité des émissions provient de la combustion du pétrole

L’industrie pétrolière et gazière travaille à mettre au point des technologies pour capter et séquestrer des quantités de CO2 émis lors de la production d’énergie fossile.

«Mais peu importe la façon dont le pétrole est produit, quand on le brûle, ça cause la même quantité d’émissions et la majorité des émissions de CO2 du pétrole proviennent de sa combustion», indique le professeur Damon Matthews.

On estime en effet que 80 % des émissions de GES des hydrocarbures viennent de leur combustion, alors que 20 % proviennent de leur production.

Donc, même si le Canada réussissait, grâce à des technologies de captage du carbone, à diminuer l’intensité carbone de sa production pétrolière, la majorité des émissions liées au pétrole ne serait pas éliminée.

Actuellement, il n’existe aucune technologie qui permet de capter le CO2 émis lors de la combustion des énergies fossiles. En d’autres termes, les humains n’ont pas trouvé de façon de capter les émissions de CO2 qui s'échappent de leurs moyens de transport.

Pour cette raison, la croissance de cette industrie, même dans un scénario où les processus de production émettaient moins d’émissions, est tout simplement incompatible avec la lutte au changement climatique, souligne le professeur Matthews.

«C’est l’une des raisons pour lesquelles le Canada accuse un retard par rapport à la plupart des autres pays comparables dans le monde: nous essayons à la fois de lutter contre le changement climatique et d’accroître la production pétrolière et gazière. Or, ces deux objectifs sont contradictoires. Nous ne pouvons pas atteindre la neutralité carbone si nous continuons à produire du pétrole. C’est impossible.»

Un risque économique

Au-delà des considérations environnementales, autant le professeur Mousseau que le professeur Matthews voient un risque économique à miser sur la croissance de l’industrie pétrolière.

«Si le monde entier tente de décarboner, il n'y aura plus de marché pour le pétrole et le gaz dans 20 ans», souligne le professeur Matthews, de l’Université Concordia.

«Si l'industrie pétrolière en Alberta pense avoir un marché en croissance au cours des prochaines années, je crois qu'elle se trompe», avance pour sa part le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, en ajoutant «qu’on prévoit une baisse nette de la demande pour le pétrole au monde au cours des prochaines années».

De l’écoblanchiment, selon la Fondation David Suzuki

Utiliser l’expression «pétrole décarboné est une forme d’écoblanchiment», selon Andréanne Brazeau, analyste principale des politiques pour le Québec à la Fondation David Suzuki, car «le pétrole, qu’il soit issu des sables bitumineux ou qu’il soit exploité en haute mer, va continuer d’être à la racine de la crise climatique qui fait exploser le coût de la vie et qui a un impact majeur sur notre santé».

Cette «nouvelle expression», a ajouté la chargée de cours en politique environnementale à l’Université de Sherbrooke, «est une autre façon de faire durer notre dépendance aux énergies fossiles».

Le gouvernement, selon l’analyste, pourrait enfreindre la Loi sur la concurrence relative à l’écoblanchiment en utilisant l'expression «pétrole décarboné».

«L’idée de l'écoblanchiment, c'est de présenter des produits ou des pratiques comme étant plus écologiques qu'ils le sont réellement pour attirer des consommateurs et consommatrices, pour gagner un appui du public, pour améliorer son image. Donc, ça m'apparaît conforme avec l'utilisation du terme pétrole décarboné, où on vient verdir l'image du pétrole alors que, dans les faits, le pétrole est nécessairement et fortement émetteur de CO2».

Dans un échange de courriels avec La Presse Canadienne, la relationniste du cabinet du ministre fédéral de l’Énergie et des Ressources naturelles, Carolyn Svonkin, a écrit que «le terme décarboné est utilisé pour désigner le pétrole et le gaz produits avec des émissions réduites» et «qu’il existe toute une gamme de technologies, notamment la technologie de capture du carbone à la source, qui permettent de réduire les émissions au point de production».

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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