On retrouverait au Québec les plus vieilles roches du monde


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — C'est au Nunavik, dans le nord du Québec, qu'on retrouve possiblement les plus vieilles roches au monde, croit un chercheur ontarien.
Ces roches se sont formé quelques centaines de millions d'années seulement après la formation de la Terre elle-même, ce qui signifie qu'elles sont vieilles d'environ quatre milliards d'années, a dit le professeur Jonathan O'Neil, de l'Université d'Ottawa.
«Ces roches (...) seraient les seules actuellement connues qui proviennent (d'une période) qui couvre quasiment les 600 premiers millions d'années de l'histoire de la Terre», a résumé le chercheur.
Le professeur O'Neil et ses collègues s'intéressent depuis de nombreuses années à la ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq, une formation rocheuse située sur la rive est de la baie d'Hudson, à une quarantaine de kilomètres au sud-est d'Inukjuak.
Des travaux qu'ils ont publiés en 2008 démontraient que certaines des roches qu'on y trouve datent de l'Hadéen ― le premier éon de l'histoire de la Terre, qui commence avec la formation de la planète il y a environ 4,6 milliards d'années pour se terminer environ 600 millions d'années plus tard ― et qu'elles sont donc incroyablement anciennes.
Leur âge proposé à ce moment, soit 4,3 milliards d'années, ne faisait toutefois pas l'unanimité pour différentes raisons. La plus récente étude publiée par la prestigieuse revue Science fait appel à des méthodes d'analyse très sophistiquées et raffine l'âge de certaines roches à 4,16 milliards d'années.
«Le problème avec l'Hadéen, c'est qu'on a très peu de matériel avec lequel travailler, a dit le professeur O'Neil. On n'a quasiment pas de matériel terrestre qui date de cette période-là. Tout a été détruit, tout a été recyclé. La Terre est très efficace à recycler sa propre croûte et refondre ses propres roches.»
On ne s'explique pas vraiment comment ou pourquoi des roches aussi anciennes sont toujours accessibles aujourd'hui, a-t-il admis, mais on sait de longue date qu'une vaste portion du Bouclier canadien donne accès à certaines des roches les plus vieilles de la planète.
On considérait ainsi, jusqu'à il y a une vingtaine d'années, a dit le professeur O'Neil, que la plupart des roches du Nunavik avaient entre 2,7 milliards et 3 milliards d'années. Une vaste campagne de cartographie organisée par le gouvernement du Québec au début des années 2000 a tout chamboulé quand on y a trouvé des roches vieilles de 3,8 milliards d'années.
«Il y a seulement cinq ou six endroits à travers le monde où on retrouve des roches aussi vieilles, a-t-il rappelé. Donc c'est certain que ça a suscité un grand intérêt.»
Un petit cours de géologie est ici nécessaire. Les roches qui ont été examinées dans le cadre de la nouvelle étude, et dont l'âge a été épinglé à 4,16 milliards d'années, sont en «intrusion» dans la ceinture Nuvvuagittuq, ce qui veut dire qu'elles recoupent ce qu'on appelle les «roches encaissantes», a expliqué le professeur O'Neil.
«Et il y a un principe en géologie qui nous dit qu'une roche qui en recoupe une autre, ou une roche qui est en intrusion dans une autre, doit nécessairement être plus jeune, a-t-il précisé. On ne peut pas recouper quelque chose qui n'existe pas.»
On peut donc logiquement en conclure que les «roches encaissantes» sont encore plus vieilles que les «roches en intrusion» qui font l'objet de la plus récente étude.
Ce sont ces roches encaissantes dont l'âge avait été évalué à 4,3 milliards d'années lors de l'étude publiée en 2008. Les chercheurs qui avaient alors prétendu qu'elles avaient plutôt 3,8 milliards d'années pourraient maintenant devoir se raviser, croit le professeur O'Neil.
«Oui, on se dispute pour environ 500 millions d'années, mais c'est important, a-t-il dit. En étudiant l'âge des roches en intrusion, ça impose une limite inférieure à l'âge des roches encaissantes, et leur âge minimum devient 4,16 milliards d'années. Donc, nécessairement, les roches encaissantes doivent être plus vieilles, et on croit qu'elles ont 4,3 milliards d'années.»
Ses collègues et lui, a affirmé le professeur O'Neil, sont d'avis que la nouvelle étude «apporte vraiment des contraintes encore plus fortes pour suggérer que ces roches sont hadéennes, donc plus vieilles que quatre milliards d'années».
Pour des gens comme lui qui sont «intéressés à étudier comment la jeune Terre a grandi dans son enfance et dans son adolescence», les roches et les minéraux sont autant de livres qui racontent «l'histoire de la Terre», a expliqué le chercheur.
Si on veut comprendre comment la Terre s'est formée, si on veut savoir s'il y avait une tectonique des plaques alors que la planète était toute jeune, si on veut analyser la composition des océans précoces (et peut-être y déceler les premiers signes de vie sur Terre), on a besoin d'étudier les plus vieilles roches qu'on peut trouver, a-t-il dit.
«C'est beaucoup plus que dire que ma roche est plus vieille que ta roche, a conclu en riant le professeur O'Neil. C'est une fenêtre unique sur la jeune période de notre planète.»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne