Sous financement: des proches aidants dévastés par les coupes de services


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Des proches aidants ont pleuré au téléphone en apprenant que l'accompagnement psychosocial sur lequel ils comptaient ne sera plus offert, faute d'un financement adéquat de la part de Québec. Proche aidance Québec demande au gouvernement d'y remédier.
Dans une lettre ouverte publiée jeudi dans les journaux de CN2i, Proche aidance Québec, qui regroupe 150 organismes communautaires en proche aidance à travers la province, dénonce l’incohérence du gouvernement qui réduit les sommes allouées aux organismes alors que les besoins ne cessent de croître.
Le gouvernement provincial a justement mis des efforts pour mieux identifier les proches aidants dans son Plan d'action gouvernemental pour les personnes proches aidantes 2021-2026.
«Le résultat de ce premier plan d'action, c'est qu'on a sensibilisé à reconnaître des personnes proches aidantes et à favoriser l'autoreconnaissance des personnes proches aidantes, et donc, les référer aussi vers des services», explique en entrevue Loriane Estienne, directrice générale de Proche aidance Québec.
«On a une augmentation de la demande de services de la part des personnes proches aidantes qui sont clairement dans le besoin. Ce sont vraiment des gens qui soutiennent des personnes et qui permettent le maintien à domicile de leurs personnes proches. Ce sont des piliers essentiels pour alléger le fardeau du réseau de la santé, entre autres. Cette augmentation qui est logique avec l'arrivée d'une loi et d'un plan d'action fait en sorte que les demandes vont nécessairement augmenter», ajoute Mme Estienne.
La hausse des besoins en proche aidance est aussi due au vieillissement de la population, puisque plusieurs proches aidants s'occupent d'un aîné ou une personne avec un trouble neurocognitif comme la maladie d'Alzheimer. Si la courbe démographique du Québec suit son cours, le nombre de proches aidants pourrait exploser.
«Des choix difficiles ont dû être faits»
Il y a quelques semaines, l’Appui — un organisme à but non lucratif financé par le gouvernement du Québec qui a pour mandat de soutenir le déploiement de services à l'échelle du Québec — a annoncé «un soutien financier historique» de 25 millions $ entre 2025 et 2026 pour des services dédiés aux personnes proches aidantes partout au Québec. En tout, 285 projets, portés par 232 organismes communautaires et entreprises d'économie sociale, ont reçu du financement.
Le problème, explique Mme Estienne, est que la demande était bien plus importante que le financement déployé par le gouvernement. «La totalité des demandes qui ont été déposées dans le cadre de cet appel à projets totalisait 40 millions $, a-t-elle exposé. Sachant qu'il y en avait seulement 25 millions $ de disponibles, il y a des choix difficiles qui ont dû être faits. Ça a occasionné un refus de financement pour certains organismes, qui par exemple avaient ce financement-là depuis trois, quatre, dix ans des fois. Dans d'autres cas, il y a énormément d'organismes communautaires qui se sont vus proposer un financement qui était largement inférieur à ce qu'ils avaient demandé pour réaliser le projet pleinement.»
La lettre ouverte fait mention de 600 proches aidants dans Lanaudière qui ont perdu l'accès à des services de répit de jour, la livraison de repas et du soutien psychologique.
À la Maison Tournesols, un organisme situé sur la Rive-Sud de Montréal, les personnes proches aidantes ne peuvent plus bénéficier depuis le 1er avril de soutien psychologique complémentaire au service de répit, qui lui continue d'être donné.
Marie-Claude Richer, directrice générale de la Maison Tournesols, affirme que cela a été difficile à annoncer à la clientèle. «Il y a des personnes proches aidantes qui ont pleuré lors de cet appel-là. [...] On n'a pas fait ça le 31 mars, on les a préparés, mais il y en a qu'il a fallu qu'on leur reparle plusieurs fois pour les outiller avec d'autres services, d'autres endroits où ils pourraient appeler, à qui ils pourraient parler», raconte Mme Richer.
Conscient du contexte économique
Au total, 147 personnes ont bénéficié du service de soutien psychosocial de la Maison Tournesols l'an dernier, un chiffre stable depuis trois ans, moment où le service a commencé à être offert. Les proches aidants pouvaient choisir la fréquence à laquelle ils voulaient discuter, que ce soit une fois par mois ou plusieurs fois par semaine.
Ces entretiens apportaient beaucoup aux proches aidants, confie Mme Richer, notamment pour les déculpabiliser de vouloir un moment de répit, de laisser aller l'être cher entre les mains d'autrui.
Pour ceux qui s'occupent d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer par exemple, l'accompagnement leur permettait de comprendre les changements de comportement et d'attitude de leur proche.
«Quand ça débarque dans notre vie, prêt pas prêt c'est parti, il n'y a pas de cours, il n'y a pas de préparation pour être proche aidant. On saute là-dedans sans le vouloir, sans l'avoir vu venir», souligne Mme Richer.
En apprenant la fin du soutien psychosocial, plusieurs se sont sentis démunis. «On a informé les personnes proches aidantes qu'on n'allait plus pouvoir offrir ce service-là et le commentaire qu'on a reçu le plus souvent, c'est ''mais comment je vais faire''», partage la directrice de l'organisme.
La Maison Tournesols a essuyé une coupe de 62 000 $ sur les 700 000 $ qu'elle a reçus du gouvernement provincial l'an passé. «Ça peut paraître peu, mais dans notre budget d'opération, on ne peut pas perdre 62 000 $ sans que ça paraisse quelque part. Alors, il a fallu couper le service parce qu'on l'a su quelques semaines d'avance et on n'a pas pu trouver parmi nos généreux bailleurs de fonds quelqu'un qui était prêt à se commettre pour ce montant supplémentaire», relate Mme Richer.
La directrice générale de Proche aidance Québec a dit être consciente du contexte économique actuel. Le regroupement est ouvert à faire des compromis, mais il exhorte le gouvernement Legault à trouver une solution.
Proche aidance Québec souhaite s'asseoir avec l'Appui et le ministère de la Santé et des Services sociaux «pour analyser les projets qui ont été refusés ou partiellement financés, et d'identifier ceux qui étaient des projets extrêmement pertinents et performants». Mme Estienne souligne aussi l'importance de pérenniser le financement, car les appels à projets ont un début et une fin, mais les besoins, eux, ne cessent de grandir.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne