Thérapie génique: première mondiale au CHU Sainte-Justine


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Un jeune homme de 18 ans est essentiellement «guéri» après être devenu le premier patient jamais traité avec une technologie ultra-sophistiquée d'édition génique, dans le cadre d'un essai clinique international auquel a participé le CHU Sainte-Justine.
La thérapie génique appelée «prime editing» a été utilisée pour corriger, directement dans les cellules souches hématopoïétiques du patient, une mutation génétique responsable de la maladie grave du système immunitaire dont il est atteint, la granulomatose septique chronique (GSC).
«En deux semaines, on a vu que l'anomalie était corrigée dans la moitié des cellules, et au bout de 45 jours, dans 66 % des cellules, a dit le docteur Élie Haddad, l'investigateur principal de l’essai clinique pour le CHU Sainte-Justine. Nous, une maladie qui se corrige dans 66 % des cellules, si on faisait ça avec une greffe de moelle osseuse (traditionnelle), on serait très contents du résultat.»
Si le résultat est stable, a-t-il ajouté, ça veut dire que le patient est «guéri».
Le traitement habituel de la GSC ressemble à celui utilisé contre certaines leucémies: la moelle osseuse du patient ― où se forment les globules blancs du système immunitaire ― est détruite avec une chimiothérapie très agressive, puis on lui greffe la moelle osseuse saine d'un donneur.
Il s'agit toutefois, pour le patient, d'un traitement très pénible qui s'accompagne de plusieurs risques, comme celui de voir l'organisme rejeter la greffe.
La technique «prime editing» évite certains de ces problèmes. Dans un premier temps, la chimiothérapie préparatoire, si elle n'a rien d'une partie de plaisir, est un peu moins «brutale» pour le patient. Par la suite, puisque ce sont ses propres cellules hématopoïétiques qui lui sont redonnées après une édition génique en laboratoire, aucun rejet n'est possible. Le taux de survie devrait donc, en théorie, passer de 80 % ou 90 % à 100 %.
«Nous sommes très contents, on est très optimistes, c'est fabuleux, s'est réjoui le docteur Haddad. On lui a pris sa propre moelle, on l'a guérie dans un tube, on lui a réinjectée, et on l'a guéri. C'est fascinant, parce que ça ouvre la porte à la correction de toutes sortes de maladies génétiques.»
La thérapie génique telle qu'on la connaissait jusqu'à présent, a expliqué le docteur Haddad, consistait à remplacer un gène défectueux par un nouveau gène sain. Le «prime editing», poursuit-il, passe au niveau supérieur et permet de corriger pratiquement n'importe quelle mutation.
«C'est comme si on détachait une fermeture éclair, a-t-il illustré. On se retrouve avec les deux brins (d'ADN) écartés un de l'autre, on fournit un modèle à la cellule en lui disant 'voici ce que tu dois faire maintenant', et on corrige littéralement la mutation.»
Si on a choisi un patient atteint de GSC comme premier récipiendaire de cette thérapie, a expliqué le docteur Haddad, c'est que pratiquement tous ceux qui en sont atteints présentent la même mutation génétique.
On avait ainsi prévu traiter neuf autres patients atteints de la même maladie. Des difficultés financières ont toutefois contraint la firme américaine de biotechnologie qui l'a développé, Prime Medicine, à suspendre l'essai clinique après un seul patient.
«On partage l'amertume et la tristesse des autres malades qui étaient sur la liste d'attente pour être parmi les dix patients qui allaient bénéficier de ce traitement et qui ont appris que malheureusement, alors que ça marche, ils ne vont pas pouvoir être traités parce que ce n'est pas rentable pour la compagnie ou pour quelque autre raison», a dit le docteur Haddad.
Prime Medicine a ainsi annoncé que leur technologie sera redirigée vers d'autres maladies, des domaines qui leur semblent plus «intéressants».
Cela démontre, ajoute le docteur Haddad, que ce genre de traitement devrait probablement rester dans la sphère académique et être géré par des fonds publics, «parce que quand on dépend de l'industrie, ils peuvent (débrancher le projet) quand ils veulent et c'est fondamentalement triste et injuste pour les patients qui attendent».
Cela étant dit, maintenant que le «prime editing» a fait ses preuves avec la GSC, ce traitement «révolutionnaire» pourrait un jour transformer la prise en charge des maladies génétiques rares, assure-t-il.
«Je dis souvent à mes amis, 'vous n'avez pas idée de ce qui s'en vient, c'est complètement fou', a conclu le docteur Haddad. Les obstacles qu'on voyait tombent un par un, et le futur c'est aujourd'hui.»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne