Le tablier de Maman

Par Emile Maheu, Collaborateur spécial
En se levant le matin, Maman endossait son tablier de coton sur lequel elle avait brodé des oiseaux, sur des branches fleuries. De chaque côté, les deux poches contenaient bien des trésors : une paire de ciseaux, des boutons, une aiguille, un dé à coudre, un bout de corde et du fil, des épingles à couche, un mouchoir et un petit bout de crayon.
Après avoir passé le cordon autour de son cou et attaché l'autre alentour de sa taille, Maman s'approchait du poêle, et les mains entortillées dans le tablier, elle prenait la poignée du poêle, ouvrait le rumeur et faisait une bonne attisée avec du bois sec. C'était pour faire les crêpes pour la maisonnée qu'elle chauffait. À maintes reprises elle essuyait ses doigts humectés d'eau ou de graisse. Pour ce faire elle soulevait un coin de son tablier et s'essuyait entre les doigts avant de reprendre sa tâche.
Le tablier de Maman avait mille et un usages. Après le déjeuner, elle se rendait au poulailler soigner les poules. Elle mettait de l'avoine ou du blé dans son tablier, soignait les poules et elle revenait du poulailler avec une demi-douzaine d'œufs frais dans les replis de son tablier. Elle allait ensuite au jardin chercher des légumes, oignons, chou, carottes, navets et persil qu'elle rapportait dans son tablier pour faire la bonne soupe du dîner. Elle le dépliait sur la table de la petite-maison pour laisser écouler sa marchandise et ensuite de ses deux mains elle le secouait ou le brossait pour déloger la terre, les brindilles et la poussière.
Quand un petit passait près d'elle la guédille au nez, elle l'empoignait d'une main par le cou, sortait le mouchoir de la poche de son tablier et en pincette elle serrait le nez du gamin en disant :
« Souffle, souffle plus fort! »
Elle essuyait aussi les larmes en déclarant:
— Tu t’en souviendras pas le jour de tes noces. Va t’en jouer dehors!
Puis, elle asséchait le menton du petit dernier, qui bavait, en perçant ses dents.
Si un autre avait une tache sur le front, sur la joue ou sur le menton, elle humectait de sa salive le coin de son tablier et faisait disparaître d'une passe, la saleté en disant :
« Bon! Là t'es un p'tit gars bien net. Salis-toi plus! »
En faisant cuire les aliments, la queue de la poêle et le couvercle des chaudrons devenaient trop chauds pour les mains. Repliant son tablier il lui servait de manchon et la protégeait contre les brûlures. Elle se garantissait aussi de la même façon quand elle prenait le fer à repasser, la grosse bombe en fonte noir, la poignée des rumeurs, ou qu'elle ouvrait ou fermait la porte du fourneau du poêle. Pour déboucher un bocal ou cruchon de conserve, elle entortillait le couvercle dans son tablier pour éviter le glissement. Après une journée bien remplie, le tablier servait encore à retenir le peloton de laine dont elle se servait pour tricoter une paire de bas, une crémone ou des mitaines.
Si Maman attendait de la visite ou pour les jours de fête, comme le dimanche, elle endossait un autre tablier plus joyeux, avec d’autres motifs fleuris. Quand la visite arrivait, les petits plus timides se cachaient dans les replis du tablier. En guise de conversation, Maman disait :
— Il est assez gêné celui-là. C’est notre onzième.
Dans une poche elle dissimulait quelques paparmannes et en temps opportun elle disait aux petits :
« Viens chercher un *nanane* dans le tablier à Maman. »
« Prends-en rien qu'un, il faut en laisser pour les autres! »
Avant de se coucher, Maman enlevait son tablier, l'accrochait au poteau de pied du lit de fer. Il était prêt pour le lendemain matin.
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