Un billet de Sylvio Morin
Serge Fiori, le fragile géant
Pendant les quelques mois où j'ai été morning man à la station radiophonique communautaire CHGA-FM de Maniwaki, voilà fort longtemps, j'ouvrais immanquablement l'émission en faisant tourner la chanson Dixie du groupe Harmonium.
À 5 h du matin, je trouvais qu'elle donnait du pep pour partir la journée! Avec des arrangements de piano à la honky tonk, de la clarinette jazzée perçant dans l'aigu, et de la guitare bien pincée, c'était un mélange en contretemps qui avait de quoi faire bouger son homme.
«Dis-moé c'est quoi ta toune/Qui m'revient dans les oreilles tout le temps», que chantait Serge Fiori. À ce moment-là, assis dans le studio, le son de sa voix me ramenait infailliblement dans le sous-sol chez les Bolduc, qui habitaient directement en face du cimetière à Beauceville, où l'on jeunessait Jean, Paul, Gérard et moi — des fois, il y avait aussi Tioui — à écouter cette musique québécoise si particulière et distincte, entre That's the way, de KC and the Sunshine Band, et Whole Lotta Love, de Led Zeppelin. Notre discographie était très hétéroclite.
Plus tard dans mon adolescence, lorsque j'étais presqu'en âge de fréquenter les bars (!), je me retrouvais attablé tous les samedis soir avec Jeff, Dennis, Jean-Pierre et Jean (pas le même que le premier) au Vieux Saint-Georges (maintenant le Shaker) à entendre l'album expérimental Fiori-Séguin, à travers les volutes de fumée de cigarettes et l'alignement des grosses bières — on buvait de la Black Label pour faire différent des autres.
La mort de Serge Fiori représente pour ma génération ce que le départ de Karl Tremblay l'a été pour la sienne. Comme je l'ai écrit hier, un grand pan de mon adolescence est parti avec lui. J'avais déjà perdu Gerry, ça m'avait pas mal magané. Il ne me reste que Plume sur qui me raccrocher.
Dans les faits, sa production d'albums ne se compte que sur les doigts d'une seule main, mais son impact passé, présent, et à venir est incalculable. Son petit physique et ses airs fragiles ne l'ont pas empêché de livrer une oeuvre de géant, qui est venue quelque part le rattraper dans sa personnalité d'homme humble et effacé.
J'espère que sa famille acceptera qu'on lui fasse des funérailles nationales. Lui ne l'aurait probablement pas voulu. Mais ce musicien pas comme les autres les méritent comme jamais.
Merci Serge Fiori!
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