Climat: l’auteur canadien d’un rapport commandé par Trump réagit à la controverse


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Le professeur canadien Ross McKitrick, qui a été choisi par l’administration Trump pour coécrire un rapport qui soulève l’indignation de plusieurs scientifiques du climat, se défend de minimiser les risques des changements climatiques, mais remet en question certaines conclusions du GIECC.
En début de semaine, 85 scientifiques du climat ont publié un document de 484 pages pour dénoncer vigoureusement la méthode et les conclusions d’un rapport sur les changements climatiques, commandé par l’administration Trump et coécrit par le professeur Ross McKitrick, de l’Université de Guelph, en Ontario.
«Ce rapport tourne la science en dérision. Il s'appuie sur des idées rejetées depuis longtemps, étayées par des représentations erronées du corpus des connaissances scientifiques, des omissions de faits importants, des tergiversations, des anecdotes et des biais de confirmation. Ce rapport montre clairement que le Département de l’Énergie des États-Unis n’a aucun intérêt à collaborer avec la communauté scientifique», a écrit Andrew Dessler, professeur en sciences de l'atmosphère à l'université Texas A&M, dans un communiqué publié par les 85 scientifiques du climat.
Le rapport qui a soulevé l’indignation de plusieurs organisations scientifiques est un document de 150 pages publié à la fin juillet et qui remet en question l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles et conclut notamment que les changements climatiques sont «moins dommageables économiquement que ce que l’on croyait» et qu’ils sont «un défi et non une catastrophe».
Ross McKitrick se défend de minimiser les risques
La Presse Canadienne a échangé quelques courriels avec le professeur au département d’économie et de finance à l’Université de Guelph, Ross McKitrick, qui fait partie des cinq auteurs choisis par l’administration Trump pour écrire ce document.
«Notre objectif n'était pas de minimiser les risques, mais de garantir que l'ensemble des données historiques et des informations scientifiques soient accessibles au public, en particulier sur des sujets faisant l'objet de désaccords de longue date dans la littérature universitaire», s’est défendu le professeur McKitrick.
«Bien que le groupe de Dessler soulève des arguments légitimes qui mériteront des révisions de notre projet, nous maintenons nos conclusions générales», a-t-il ajouté.
En désaccord avec le GIECC
La Presse Canadienne a demandé au controversé professeur d’économie s’il était d’accord avec la déclaration suivante, émise par le groupe de travail 2 (GT2) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIECC), dans la foulée de la sortie d’un important rapport en 2022: «Des impacts généralisés et omniprésents sur les écosystèmes, les populations, les établissements humains et les infrastructures ont résulté de l'augmentation observée de la fréquence et de l'intensité des extrêmes climatiques et météorologiques, notamment des extrêmes de chaleur sur terre et dans l'océan, des épisodes de fortes précipitations, des sécheresses et des incendies».
Selon Ross McKitrick, le groupe de travail 2 du GIECC, chargé d'évaluer les impacts, la vulnérabilité et l'adaptation au changement climatique, «fait des généralisations».
Le professeur d’économie a renvoyé La Presse Canadienne au chapitre 6 du rapport qu’il a coécrit pour l’administration Trump et qui conclut notamment qu’aux États-Unis, «la plupart des phénomènes météorologiques extrêmes ne présentent aucune tendance statistiquement significative à long terme par rapport aux données historiques disponibles» et que les incendies de forêt, par exemple, ne sont pas plus fréquents qu’avant.
Quand La Presse Canadienne lui a soumis que le GIECC a également averti que les changements dans l'océan, notamment «le réchauffement, la fréquence accrue des vagues de chaleur marines, l'acidification des océans et la réduction des niveaux d'oxygène, sont clairement liés à l'influence humaine» et que «ces changements affectent à la fois les écosystèmes océaniques et les populations qui en dépendent», le professeur McKitrick répond ceci: «Nous n'avons pas examiné les vagues de chaleur marines et je n'ai pas exprimé d'avis à leur sujet. Les autres changements mentionnés ici, qu'ils soient d'origine anthropique ou non, ne sont pas des exemples de phénomènes météorologiques extrêmes».
Un rapport politique plutôt que scientifique
Le rapport commandé par le Secrétariat de l'Énergie de l’administration Trump, écrit par cinq auteurs, compte 151 pages. En contrepartie, 2400 scientifiques ont participé à l’écriture des rapports un et deux du GIECC. Ces deux rapports du groupe d'experts, qui font 2400 pages, citent 60 000 études scientifiques, selon le professeur Andrew Dessler. Le rapport de l’administration Trump ne cite que 284 études.
«Le rapport du Secrétariat de l'Énergie (DOE), qui n'a pas fait l'objet d'une évaluation externe par des pairs, a été corédigé par cinq scientifiques soigneusement sélectionnés par l'administration», a dénoncé le porte-parole du groupe des 85 scientifiques, Andrew Dessler, qui a ajouté que ces scientifiques «ne représentent pas la vision dominante» de la science climatique.
«Un article scientifique publié dans une revue scientifique doit passer à travers un filtre assez serré où il sera lu par des experts qui vont le critiquer, qui vont essayer de l'améliorer», donc «il y a un processus de validation et ça, ce processus, il est au cœur du progrès scientifique», a commenté Vincent Larivière, titulaire de la Chaire UNESCO sur la science ouverte de l’Université de Montréal.
Mais le document de l’administration Trump, a ajouté celui qui se spécialise dans les modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques, «n’a pas fait l'objet d'une évaluation par des pairs» et «c’est un rapport politique» davantage que scientifique.
À propos des rapports du GIECC, dont certaines conclusions sont réfutées par l’administration Trump et les auteurs qu’elle a engagés, le professeur Larivière a souligné ce qui suit: «De façon générale, les scientifiques aiment avoir raison et ils aiment se chicaner, ils aiment pouvoir montrer que leurs collègues ont tort», mais «c’est quand même extraordinaire de voir que des milliers de scientifiques s’accordent et arrivent aux mêmes conclusions et ça, ça mérite, justement, qu’on ait confiance en ce qu’ils nous disent (dans les rapports du GIECC)».
Éviter de nuire à l'industrie des combustibles fossiles
Pour plusieurs scientifiques américains qui sont sortis publiquement dans les dernières semaines, le rapport publié par l’administration Trump a pour but de minimiser les effets des changements climatiques, pour ne pas nuire aux intérêts et aux investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon.
«Je suppose que l'objectif ici est très similaire à celui des fabricants de tabac dans les années 1960, 1970 et 1980. Leur objectif n'était pas de remporter le débat sur les effets de la cigarette sur la santé – ils savaient pertinemment que ce n'était pas possible, ils voulaient plutôt brouiller suffisamment les pistes pour empêcher toute réglementation sur leur activité», a écrit le professeur Andrew Dessler.
Le rapport du DOE, selon lui, vise «exactement le même objectif: brouiller suffisamment les pistes pour que le gouvernement puisse affirmer qu'il existe trop d'incertitude pour réglementer le dioxyde de carbone».
L'Université Guelph réagit
La Presse Canadienne a sollicité une réaction de l'Université Guelph sur le tollé que le rapport coécrit par le professeur McKitrick a suscité.
Dans une déclaration écrite, l'université a tenu à rappeler qu'elle «exige les plus hautes normes d'intégrité dans toutes les recherches menées par sa communauté universitaire», mais qu'elle défend également la liberté académique des professeurs et des chercheurs.
«Il n'appartient pas aux universités de vérifier de manière indépendante chaque document de recherche. Cette responsabilité incombe aux éditeurs ou aux organismes commanditaires. Enfin, nous soulignons que les conclusions du rapport du DOE reflètent les opinions de ses auteurs, et non celles de l'Université de Guelph», peut-on lire également dans la déclaration.
Depuis qu’elle est en poste, l’administration Trump a congédié des chercheurs du climat, interdit certains mots dans des articles scientifiques, coupé dans le financement des recherches sur l’environnement, menacé de retirer l’aide financière à des universités et effacé des rapports scientifiques de sites gouvernementaux, entre autres.
Stéphane Blais, La Presse Canadienne