Diviser le contrat de sous-marin présente des risques, selon des experts


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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — De nombreux experts en défense préviennent que la division d'un important contrat de sous-marins entre deux fournisseurs créerait des risques pour la Marine canadienne et affaiblirait probablement la position de négociation d'Ottawa.
Paul Mitchell, professeur d'études de la défense au Collège des Forces canadiennes, a soutenu que les sous-marins modernes sont aussi complexes que des vaisseaux spatiaux ou des bolides de Formule 1, et qu'il s'agit d'une raison suffisante pour éviter de compliquer l'achat en créant deux chaînes d'approvisionnement et deux stocks de pièces distincts.
«On est sujet à l'effet papillon (…) une petite chose peut avoir des répercussions très importantes, et on encouragerait ce type de comportement au sein du système que l'on conçoit», a expliqué M. Mitchell à La Presse canadienne. «Notre pays n'a jamais financé le soutien et la logistique de ses achats militaires. Nous manquons constamment de pièces et d'expertise. Par conséquent, séparer ces deux aspects ajouterait à la complexité, ce qui pourrait, à terme, faire échouer tout le projet.»
Le vice-amiral Angus Topshee a déclaré lors d'une récente entrevue avec La Presse canadienne que la Marine royale canadienne pourrait soutenir les sous-marins fournis par les deux entreprises en lice pour le contrat de sous-traitance — et qu'il pourrait y avoir des avantages à diversifier la flotte.
M. Topshee a également reconnu qu'il pourrait être plus simple d'acheter 12 sous-marins auprès d'un seul fournisseur, en s'assurant que toutes les pièces et tous les systèmes d'armes soient identiques.
Il n'a exprimé aucune préférence pour l'une ou l'autre option et a déclaré que la décision revient en dernier ressort au gouvernement fédéral.
«En fin de compte, tout ce qui représente 12 sous-marins pour le Canada me semble une excellente décision», a-t-il résumé.
Le vice-amiral a souligné que dans tous les cas, Ottawa devra dupliquer son infrastructure sous-marine sur les deux côtes en raison de la grande distance entre Victoria et Halifax.
Une source de l'industrie, qui a requis l'anonymat en raison du caractère privé des réunions gouvernementales, a déclaré à La Presse Canadienne que de hauts fonctionnaires évoquent l'idée de diviser le contrat en coulisse depuis des mois. La source a précisé qu'il n'était pas encore clair dans quelle mesure le Canada envisageait sérieusement cette possibilité.
Ottawa a réduit le nombre de candidats initialement retenus pour le contrat de sous-marins, le réduisant ainsi à cinq. Les deux finalistes sont le groupe Sud-Coréen Hanwha et ses sous-marins KSSIII, et ThyssenKrupp Marine Systems et ses sous-marins de type 212CD, actuellement en construction pour l'Allemagne et la Norvège.
«Pourrions-nous acheter six Type 212 à l'Allemagne et à la Norvège et six KSSIII à la Corée? Oui, c'est possible», a affirmé M. Topshee.
«Dans 10 à 15 ans, le vérificateur général rédigera un rapport sur l'ampleur des dédoublements. D'accord, mais en termes militaires, la redondance offre parfois une résilience, ce qui peut s'avérer incroyablement puissant».
David Perry, président de l'Institut canadien des affaires mondiales, a toutefois affirmé que la division de la flotte affaiblirait la position de négociation du Canada.
«Si le Canada en achetait 12, nous serions potentiellement le plus gros client pour cette variante spécifique du sous-marin. Et si vous êtes le plus gros consommateur, je pense que vous avez un degré d'influence différent sur des aspects tels que les choix relatifs aux exigences de conception, la participation des entreprises aux chaînes d'approvisionnement, etc. Si vous êtes le deuxième ou le troisième acheteur, je pense que la situation est un peu différente.»
Enjeu logistique
Philippe Lagassé, professeur agrégé à l'Université Carleton et spécialiste des politiques de défense, a déclaré que la division de la flotte nécessiterait également deux filières de formation distinctes pour les équipages et les techniciens, et que ces équipages ne pourraient pas être transférés d'un type de navire à un autre sans une nouvelle formation.
«Comme pour les avions de chasse, la plupart des analystes de la défense vous diront que c'est absurde pour un pays de taille moyenne, comme le Canada», a-t-il écrit mardi.
Daniel Kerry, directeur de la transformation financière chez Deloitte, a travaillé sur le programme de sous-marins du Royaume-Uni. Il est d'avis qu'Ottawa ne doit pas prendre cette décision à la légère, car il s'agirait probablement de l'achat militaire le plus coûteux de son histoire.
M. Kerry a noté que le choix des deux soumissionnaires diversifierait la flotte et pourrait accélérer les délais de livraison. Cela pourrait également minimiser le risque d'interruption de service si le pays d'origine d'un fournisseur de sous-marins s'engageait lui-même dans une guerre, a-t-il ajouté. Mais Ottawa devra tenir compte des coûts, des retombées industrielles potentielles, des effets sur les alliances et des similitudes d'équipement avant de prendre une décision finale, selon M. Kerry.
Lorsque La Presse Canadienne a interrogé le ministre de la Défense, David McGuinty, la semaine dernière, sur l'idée de scinder l'approvisionnement, il a répondu qu'il «ne gère pas les détails de l'approvisionnement de cette importante décision».
«Cela sera examiné par [Services publics et Approvisionnement Canada], par nos responsables de la Défense, par nos besoins opérationnels et par nos responsables de la Marine», a indiqué le ministre.
Après que La Presse Canadienne a demandé si Ottawa envisageait un contrat scindé, un porte-parole de Stephen Fuhr, secrétaire d'État à l'Approvisionnement en matière de défense, a indiqué que le gouvernement était «déterminé à défendre les intérêts de notre Marine» et prévoyait d'attribuer un contrat d'ici 2028 au plus tard.
«Nous examinons attentivement toutes les options pour renforcer la capacité de la Marine royale canadienne à protéger la souveraineté canadienne, tout en créant de bons emplois pour les travailleurs canadiens et en soutenant la croissance de l'industrie canadienne de la défense», a affirmé l'attachée de presse Mujtaba Hussain.
Le Canada est engagé dans une course contre la montre pour remplacer ses quatre sous-marins vieillissants de classe Victoria, qui devraient être retirés du service d'ici 2035.
M. Mitchell a noté que des problèmes liés au soutien des sous-marins Victoria, vieux d'un demi-siècle, commenceraient à apparaître, comme des pénuries de pièces de rechange lorsque les fabricants cesseront la production.
Kyle Duggan, La Presse Canadienne