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«Je suis certaine que ça peut se reproduire», dit la directrice du Principe de Joyce

durée 10h00
27 septembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTREAL — Cinq ans après le décès tragique de Joyce Echaquan, les communautés autochtones sont toujours méfiantes à l'égard du système de santé québécois. Malgré des efforts de la part du gouvernement du Québec pour améliorer les choses, il reste encore du travail à faire, reconnaît Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit.

«C'est difficile quand on arrive à la commémoration du décès d'une femme dans des circonstances horribles de vous dire [que] je suis content des résultats, mentionne M. Lafrenière en entrevue avec La Presse Canadienne. Je suis très prudent dans ce que je vous dis. Il y a de grandes avancées qui ont été faites, c'est vrai. Le plus gros danger qui nous guette, c'est de dire c'est fait, c'est réglé, on passe à d'autres choses. Ce n'est pas vrai. Il faut être extrêmement prudent. Il faut continuer de travailler, de se répéter que c'est une réalité, que c'est bel et bien arrivé.»

Le 28 septembre 2020, Joyce Echaquan est décédée à l'âge de 37 ans d'un œdème pulmonaire à l'Hôpital de Joliette dans Lanaudière. Pendant ses derniers instants, la mère atikamekw a diffusé une vidéo en direct sur Facebook alors que des employées de l'hôpital lui proféraient des insultes à caractère raciste.

La coroner Géhane Kamel a conclu que la mort de Mme Echaquan était accidentelle. Elle mentionnait toutefois dans son rapport d'enquête, publié en 2021, que «le racisme et les préjugés auxquels Mme Echaquan a fait face ont certainement été contributifs à son décès».

Nommé en sa mémoire, le Principe de Joyce a été créé, mais il n'est toujours pas appliqué au Québec. Il vise à garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé.

D'ailleurs, pour souligner le cinquième anniversaire de la mort de Joyce Echaquan, un colloque organisé entre autres par le Bureau du Principe de Joyce aura lieu samedi et dimanche à Trois-Rivières.

Jennifer Petiquay-Dufresne, fière Atikamekw de Manawan, est directrice générale du Principe de Joyce. Selon elle, une tragédie comme celle qu'a vécue Mme Echaquan pourrait survenir à nouveau du jour au lendemain. «Je suis certaine que ça peut se reproduire», affirme-t-elle.

Plusieurs médecins et organisations aimeraient adopter le Principe de Joyce et entamer une mise en œuvre, «mais actuellement, en lien avec les orientations politiques, ils sont freinés dans les moyens qu'ils pourraient avoir pour améliorer les choses», dit-elle.

«Le Canada s'était engagé à le mettre en œuvre. Toutes les autres provinces de l'Ouest font beaucoup plus que ce que le gouvernement du Québec fait actuellement. Je pense que le gouvernement aurait les moyens de faire plus, de faire autrement», soutient Mme Petiquay-Dufresne.

Des actions, certes, mais quels résultats?

Le ministre Lafrenière fait valoir que son gouvernement a posé des actions concrètes, notamment en donnant une formation obligatoire sur les enjeux autochtones pour le personnel de la santé.

Mme Petiquay-Dufresne, qui a par ailleurs été agente à la liaison autochtone au CIUSSS MCQ, explique qu'à la base, cette formation était adressée au personnel du ministère de la Justice. Puis, une partie de la formation a été donnée aux employés du réseau de la santé. Elle indique que le contenu sert surtout à sensibiliser ou éveiller les gens aux réalités autochtones, mais qu'il n'est pas question de sécurisation culturelle.

Sur cet aspect, le gouvernement Legault a adopté le 5 décembre 2024 le projet de loi 32, la Loi instaurant l'approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux.

Cette loi oblige Santé Québec à faire un bilan chaque année des pratiques culturellement sécurisantes «mises en œuvre par elle et par les établissements dans un rapport qu’elle transmet au ministre au plus tard le 31 mars». Le premier rapport est attendu en 2026.

«On a aussi donné l'habilitation des personnes autochtones de poser trois actes réservés sur des communautés. [...] Ce n'est pas terminé, il faut regarder encore s'il n'y a pas d'autres actes qui peuvent être posés», ajoute M. Lafrenière.

De plus, le gouvernement a créé un comité national sur la sécurisation culturelle, sur lequel des membres des communautés autochtones siègent, assure M. Lafrenière. Le comité pourra faire des recommandations au ministre de la Santé en lien avec l'application de la loi.

Mme Petiquay-Dufresne attend de voir quel rôle aura ce comité avant d'applaudir. «Ça pourrait en soi être une bonne nouvelle si ce comté a les droits et responsabilités qui vont lui permettre d'avoir effectivement un impact sur la façon dont les soins vont être produits, la façon dont les personnes autochtones vont être accueillies, le développement des programmes de services qui vont être réfléchis pour diminuer le plus possible les barrières d'accessibilité. Donc, je reste encore mitigée sur ce comité. Si c'est un comité... je dirais décoratif, [...] je ne sais pas à quel point ça pourrait avoir des répercussions», dit-elle.

L'éternel débat sur le racisme systémique

La Coalition avenir Québec refuse de reconnaître le racisme systémique. «Dès qu'on sort ce terme, ça divise, ça polarise», répond d'emblée le ministre Lafrenière.

«Je comprends très bien ce que les membres des Premières Nations et les Inuit vivent et ont vécu. Je comprends très bien les arguments qu'ils sortent, [...] mais de l'autre côté, ce qui n'aide pas, c'est que certaines personnes ne le décodent pas de la même façon. Pour eux, systémique veut dire systématique. Ça voudrait dire qu'on est toujours raciste», fait valoir M. Lafrenière.

Il reconnaît que le racisme existe, qu'il y a de la discrimination et du profilage qui persistent au Québec et qu'il faut s'y attaquer. Cependant, il n'adopte pas le terme racisme systémique.

«Ceux qui me disent qu'en le reconnaissant, tout est réglé, je suis désolé. Je suis très ouvert, je suis prêt à échanger là-dessus, mais je trouve que ce n'est pas honnête de penser qu'en reconnaissant le terme, tout va se régler, ce n'est pas vrai», argumente-t-il.

Mme Petiquay-Dufresne n'est pas du même avis. Elle a régulièrement des échos de cas de discrimination et de racisme qui se produisent dans le réseau de la santé.

Elle souligne toutefois que certains professionnels de la santé essaient de changer leur pratique. «Je ne veux pas enlever du tout à ces gens-là, aux alliés qui mettent l'épaule à la roue, qui aident, mais il y a encore du travail à faire. Donc le racisme systémique, si on est capable de le reconnaître, c'est un pas déjà de fait. Parce qu'une fois qu'on reconnaît en tant que société que le raciste systémique existe, on se donne les moyens d'agir.»

La couverture en santé de La Presse Canadienne est soutenue par un partenariat avec l'Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est seule responsable de ce contenu journalistique.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne

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