L’INRS développe une technologie infrarouge pour améliorer le dépistage de la fièvre

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Les travaux d'une équipe de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS) pourraient un jour mener à un dépistage plus efficace et plus précis de la fièvre dans les endroits publics.
Les caméras thermiques traditionnelles mesurent la température sur le front ou sur les joues, ce qui signifie que leurs mesures peuvent être perturbées par le maquillage, le port d'un masque, la transpiration ou encore la circulation de l'air.
Les chercheurs dirigés par le professeur Jinyang Liang ont donc mis au point une caméra thermique baptisée SPIRIT qui se concentre plutôt sur le canthus interne ― le coin de l'œil où se rejoignent les paupières, de chaque côté du nez.
«On mesure la température d'une manière pas du tout conventionnelle, a dit le professeur Liang, qui a discuté de ses travaux en primeur avec La Presse Canadienne. On la mesure à partir d'un seul pixel. C'est essentiellement un système d'imagerie computationnelle qui nous permet de surmonter les limites existantes, par exemple celles des caméras thermiques.»
Qu'on utilise un thermomètre conventionnel ou un appareil à infrarouges pour mesurer la température, a poursuivi le professeur Liang, «on mesure la température d'une région recouverte par de la peau».
«Donc si vous transpirez, ou si vous portez du maquillage, la mesure ne sera peut-être pas très précise, a-t-il ajouté. La littérature scientifique nous a montré qu'un des meilleurs endroits pour une lecture précise de la température est le canthus interne. Il a été démontré que la température mesurée dans cette zone correspond mieux à la température corporelle centrale, qui est essentielle pour refléter l'état physiologique d'un être humain.»
Si le canthus interne a l'avantage de ne pas être recouvert de peau, ces deux régions de l'œil sont minuscules et éloignées l'une de l'autre.
Les détails techniques sont incompréhensibles pour le commun des mortels, mais SPIRIT (pour 'single pixel infrared imaging thermometry') résout apparemment ce problème en exploitant un seul pixel infrarouge, associé à un système de codage lumineux et à une reconstruction informatique. Cette approche concentre 100 % de la détection sur les zones les plus fiables, sans recours à des systèmes coûteux ou complexes, a-t-on indiqué par voie de communiqué.
Les caméras thermiques traditionnelles, a dit le professeur Liang, «sont comme un canon qui tire sur un moustique: la vaste majorité des pixels ne sont même pas utilisés, ils sont gaspillés, et ceux que vous utilisez ne vous donnent peut-être pas la précision dont vous avez besoin».
En revanche, expliquaient en octobre le professeur Liang et ses collègues dans la revue Nature Communications, «SPIRIT a permis la cartographie passive de la température du canthus interne humain en 15 secondes, avec une taille d'image globale de 11 × 13 pixels et une résolution de température de 0,3 °C».
SPIRIT, ajoutent-ils, «consacre l'intégralité de son champ de vision aux canthus internes, ce qui améliore l'efficacité des mesures et réduit les imprécisions dans les relevés de température dues au mélange de l'arrière-plan».
La nouvelle caméra est également en mesure de «détecter des différences de température inférieures à un degré liées aux activités physiques quotidiennes, au sexe et au port de lunettes», ce qui «permet d'établir des critères d'évaluation plus précis pour la santé publique (par exemple, pour le dépistage de la fièvre liée à la COVID-19)».
Les chercheurs révèlent d'ailleurs que leur caméra a détecté de manière inattendue l'apparition et le développement d'une fièvre chez un volontaire, qui présentait initialement un état sans fièvre.
Ils ont aussi constaté, pendant leurs travaux, que la température des deux canthi diffère légèrement; qu'il existe des différences entre les hommes et les femmes; et que la température fluctue constamment pendant la journée.
Quelques obstacles devront encore être surmontés avant que la caméra SPIRIT ne puisse être déployée à grande échelle. En ce moment, par exemple, le sujet doit rester immobile pendant 15 secondes pour permettre à la caméra de prendre une lecture, ce qui serait loin d'être pratique dans un contexte comme celui d'un aéroport.
Mais une fois au point, la technologie pourrait être intégrée aux mesures déjà en place, «puisque quand on passe aux douanes, on doit déjà être pris en photo de toute manière», a dit le professeur Liang.
On pourrait aussi envisager son déploiement, un jour, dans les écoles, les cliniques médicales, les gares ou les milieux de travail. Les chercheurs espèrent que la précision de leur caméra fera chuter le nombre de fausses alertes (les résultats 'faux positifs'), réduisant d'autant le stress et les coûts engendrés par des tests inutiles.
«Pendant la pandémie de COVID, il y a eu tellement de cas inutiles, comme les faux positifs, qui ont en fait causé un stress important aux gens, a rappelé le professeur Liang. Il y a un fardeau d'un point de vue psychologique, physique et même financier. Nous espérons donc que (...) la prochaine fois qu'une pandémie se déclarera, les décideurs soient plus conscients de cette différence subtile qui peut en réalité avoir un impact important sur les individus.»
Les chercheurs envisagent des applications autres que le contrôle de la température, comme la détection de signatures thermiques anormales liées à certaines maladies (par exemple, l'inflammation, les troubles circulatoires et le cancer du sein) ou encore la détection des objets dans des conditions de visibilité réduite (par exemple, le brouillard, la fumée et l'occlusion), peut-on lire dans Nature Communications.
Parmi les autres applications potentielles, ils citent l'astronomie infrarouge, les observations atmosphériques et la caractérisation des propriétés des matériaux avancés.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne