Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

La Cour suprême examine une dette de 2 millions $ de Kanesatake envers un avocat

durée 12h42
22 septembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — La Cour suprême du Canada examine actuellement un litige de 2 millions $ qui oppose un avocat québécois et une communauté mohawk de Kanesatake depuis plus de deux décennies.

La décision de la plus haute cour du pays, qui pourrait être rendue cet automne, pourrait annuler une dette que le Conseil mohawk de Kanesatake doit à l'avocat depuis 2004.

Par ailleurs, la Cour pourrait statuer que la facture de l'avocat est toujours en vigueur, bien que le Conseil affirme avoir peu d'espoir de rembourser une dette qui vaut maintenant environ trois fois son montant initial.

«Si la situation persiste, la Première Nation pourrait se retrouver endettée à perpétuité», a déclaré Serge Simon, ancien grand chef de la communauté située dans les Laurentides. «Je n'ose même pas imaginer ce qui se passerait si nous perdions.»

Les origines du litige remontent à 2001, lorsque le conseil de bande a engagé Louis-Victor Sylvestre pour l'aider à lutter contre un projet de mine de niobium à Oka. Me Sylvestre a travaillé pour la bande entre 2001 et 2003, notamment en représentant le conseil lors d'une audience de 32 jours devant le tribunal. Le projet minier n'a jamais vu le jour.

L'avocat a facturé 536 000 $ à la bande pour son travail. Cinq experts retenus pour l'aider dans cette affaire ont facturé 162 000 $ supplémentaires. Serge Simon a affirmé que le conseil s'attendait à une facture beaucoup moins élevée et qu'il n'avait pas pu payer la somme demandée par Louis-Victor Sylvestre.

La Première Nation de Kanesatake n'a jamais payé la facture. Avec les intérêts, le total dû à Me Sylvestre et aux autres experts s'élève maintenant à environ 2 millions $.

Nicholas Dodd, avocat du conseil de bande, a affirmé que Louis-Victor Sylvestre n'était «pas bien supervisé» à l'époque, car son travail se déroulait pendant «une période de véritable chaos à Kanesatake».

Me Sylvestre a refusé de s'exprimer publiquement sur l'affaire, invoquant les procédures judiciaires en cours.

Crise de gouvernance

Kanesatake est actuellement en proie à une crise de gouvernance après l'annulation à la dernière minute d'une élection prévue en août. Serge Simon fait partie des cinq chefs sortants qui demandent à la Cour fédérale de déclarer leur maintien en fonction jusqu'à la tenue de nouvelles élections.

La communauté mohawk, au cœur de la crise d'Oka de 1990, a connu des troubles politiques au début des années 2000, à l'époque où la facture de Me Sylvestre était à payer. De graves problèmes financiers ont conduit le gouvernement fédéral à placer le conseil de bande sous gestion indépendante en 2003.

En janvier 2004, une descente bâclée d'un service de police des Premières Nations a entraîné le blocage du poste de police de Kanesatake pendant plusieurs jours par des membres de la communauté en colère, ainsi que l'incendie de la maison du grand chef de l'époque, James Gabriel. La communauté est depuis privée de son propre service de police.

Au milieu de ce bouleversement, Louis-Victor Sylvestre a obtenu un jugement par défaut de la Cour supérieure du Québec en octobre 2004, ordonnant au conseil de lui payer son dû. La bande ne s'est pas présentée au tribunal pour se défendre.

En janvier 2005, le tiers gestionnaire du conseil a tenté de régler les dettes de la bande en offrant environ 25 cents par dollar à ses créanciers. Me Sylvestre et les experts ont décliné l'offre.

Nicholas Dodd a déclaré que le budget annuel de la bande se situe entre 10 et 12 millions $, mais que la majeure partie de cette somme provient de sources de financement gouvernementales liées à des dépenses particulières, comme le logement ou l'éducation. Il a ajouté que la probabilité que le conseil puisse rembourser sa dette envers Me Sylvestre est «quasi nulle».

En vertu de la loi québécoise, l'avocat disposait de 10 ans pour tenter de récupérer l'argent avant que ses droits ne soient éteints. Depuis 2004, il a tenté une série de saisies des biens du conseil de bande pour recouvrer la dette, ce qui a eu pour effet de relancer le processus et de préserver son droit à l'argent pour dix ans supplémentaires.

En 2007, il a saisi des armes à feu appartenant au conseil mohawk et des véhicules ayant appartenu aux forces policières. Il a également saisi du matériel de bureau du conseil de bande, le rendant plus tard en échange d'une résolution du conseil de bande de 2008 reconnaissant le montant dû et demandant au gouvernement fédéral de rembourser la dette. Cela n'a pas eu lieu.

En 2016, il a tenté de saisir le compte bancaire du conseil dans une banque de la réserve située près de Kahnawake, ainsi que tous les remboursements d'impôts dus au conseil par les agences fédérales et provinciales du revenu. Ces saisies ont ensuite été annulées par les tribunaux, mais une tentative infructueuse de saisie de biens au bureau de la bande ne l'a pas été.

La saisie infructueuse de 2016 est désormais au cœur d'un litige judiciaire porté devant la plus haute cour du pays. Le conseil de bande soutient n'avoir jamais été informé d'une tentative de saisie de ses biens et que cet incident ne devrait pas relancer le processus.

Mais deux décisions de tribunaux inférieurs ont donné raison à Louis-Victor Sylvestre, estimant que la tentative de 2016 avait suffi à maintenir la réclamation. La Cour suprême a entendu l'affaire en mars.

Kanesatake libérée ou encore plus endettée

Si la plus haute cour donne raison au conseil de bande, cela signifierait que le délai de 10 ans est écoulé et que Kanesatake est libérée de sa dette. Si elle confirme les décisions des tribunaux inférieurs, Me Sylvestre aurait jusqu'en novembre 2026 pour tenter de recouvrer son argent ou relancer le processus pour une autre décennie.

L'ancien grand chef Simon a déclaré comprendre la position de l'homme de loi et que le travail qu'il a accompli il y a plus de 20 ans a aidé la communauté. Mais il a ajouté qu'une dette perpétuelle pourrait plonger Kanesatake dans «un gouffre très profond».

«C'est une question de principe pour lui maintenant, a-t-il avancé. Il se fiche complètement de l'impact que cela aura sur la communauté.»

Me Dodd, l'avocat du conseil, a indiqué que les juristes sont d'avis que les conseils de bande ne peuvent pas déclarer faillite ni se mettre à l'abri des créanciers, ce qui signifie que la question a peu de chances d'être résolue si la Cour suprême donne raison à Me Sylvestre.

«Le conseil est vraiment à court d'options. Il ne peut ni payer la réclamation ni déclarer faillite, il est donc vraiment coincé, a-t-il dit. Et le montant ne cesse d'augmenter chaque année.»

Maura Forrest, La Presse Canadienne

app-store-badge google-play-badge