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La désinformation climatique cause des inquiétudes dans les milieux scientifiques

durée 09h45
26 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Le rôle des grandes plateformes numériques et ceux de l'intelligence artificielle et de l'administration Trump dans la désinformation climatique étaient au cœur des inquiétudes soulevées par des scientifiques invités à une conférence organisée cette semaine par L'École d'environnement Bieler de l'Université McGill.

L’extraction et la combustion de combustible fossile sont à l’origine d’une crise mondiale qui menace nos sociétés, il suffit donc «d’arrêter d’extraire et de brûler des combustibles fossiles, ce n’est pas si difficile», a lancé le scientifique américain Micheal E Mann aux physiciens, climatologues, étudiants, professeurs et autres chercheurs réunis jeudi à l'événement appelé «Solvathon 2025 : naviguer dans les faits environnementaux dans une société post-vérité».

Si la «simple solution» d'arrête de brûler des combustibles fossiles est si complexe à appliquer selon le climatologue et géophysicien Micheal E Mann, c’est parce qu’un groupe concerté «d’acteurs malveillants» utilisent la désinformation pour protéger leurs intérêts économiques.

Des «ploutocrates» des «pétro-nations», des dirigeants de grandes sociétés polluantes et d’entreprises médiatiques sont à l’origine d’une «super-tempête anti-science», qui se répand un peu partout dans le monde et qui menace nos démocraties, selon celui qui est professeur au département des sciences de la terre et de l'environnement de l'université de Pennsylvanie.

Dans le milieu des scientifiques du climat, Micheal E Mann est célèbre pour avoir publié, en 1988, un graphique avec une courbe de l’évolution des températures globales, surnommée «le bâton de hockey». Cette courbe a été utilisée dans les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et elle est devenue une sorte de symbole illustrant la rapidité des changements climatiques.

Mais ce graphique lui a également valu d’être conspué par une franche conservatrice de la société américaine. Micheal E Mann a été insulté, harcelé et il a même reçu des menaces de mort.

Le chercheur, volubile et frondeur, est devenu une figure polarisante aux États-Unis.

Il est souvent invité sur les plateaux de télévision et il n’hésite pas, comme il l’a fait jeudi lors de sa présentation au théâtre Symposia à Montréal, à s’attaquer aux élus qui alimentent la crise climatique.

«Il est important de nommer qui sont ces acteurs malveillants, à commencer par le président des États-Unis», a indiqué le scientifique qui a servi d’inspiration au personnage joué par Leonardo DiCaprio dans le film «Don't Look up».

La désinformation organisée et concertée pour empêcher les citoyens de comprendre la crise climatique constitue d'ailleurs la thèse du dernier livre de son dernier livre «Science Under Siege: How to Fight the Five Most Powerful Forces that Threaten Our World», coécrit avec le scientifique Peter Hotez.

La crise climatique impose des réglementations

Selon le scientifique américain, «de très riches ploutocrates avec une vision libertarienne et similaire du monde sont en train de se saisir de l’écosystème médiatique» et ces individus, proches du pouvoir à Washington, veulent le moins de réglementation possible.

Mais cette vision du monde est incompatible avec les actions que la société doit poser pour limiter les impacts de la crise climatique, selon Micheal E Mann.

«Lorsque l’on parle de crise climatique, il n’existe aucun moyen de stabiliser les émissions de carbone qui implique des efforts purement volontaires. Nous avons besoin de réglementation. Mais les gens qui ont la conviction profonde que toute réglementation est mauvaise ont, de façon indissociable, la conviction que nous ne devrions pas agir pour éviter un réchauffement catastrophique de la planète. Donc, jusqu’à un certain point, ces opinions politiques deviennent néfastes à la survie de notre civilisation », a expliqué le Pr E Mann à un auditoire captivé.

«Le problème est que la démocratie repose sur l’hypothèse que les gens agiront et voteront dans leur propre intérêt. Mais quand vous avez un écosystème médiatique qui peut être contrôlé par une poignée d'individus ayant un programme politique, les gens peuvent finir par voter contre leur intérêt», a -t-il ajouté.

Le risque d'une IA politisée

À la traditionnelle désinformation sur les changements climatiques qui circulent sur les réseaux sociaux et les grandes plateformes du web, s’ajoute, aujourd’hui, celle qui peut être produite par l’intelligence artificielle.

Les hypertrucages générés avec l’IA ne sont pas les seuls moyens qui peuvent induire les gens en erreur; il y a aussi les robots conversationnels et autres assistants de recherche.

La montréalaise Sasha Luccioni, reconnue comme l’une des 100 personnes les plus influentes au monde dans le milieu de l‘intelligence artificielle par le magazine Time, participait à un atelier sur le sujet lors de la conférence.

«Les modèles d'IA donnent des réponses qui sont alignées avec les valeurs politiques, morales et éthiques des fondateurs de ces compagnies-là», a expliqué la chercheuse en donnant l’exemple d’Elon Musk , «qui fait exprès pour entraîner un modèle d’IA anti-woke» .

Dans un décret signé le 23 juillet dernier, le président Trump a d'ailleurs annoncé que le gouvernement fédéral ne pourra plus utiliser de logiciels d’IA jugés «woke».

Comme à peu près tous les PDG des Big Tech en ce moment sont pro-Trump, il y a un risque réel, selon Sasha Luccioni, que des modèles d’IA soient entraînés sur des données et des informations qui sont plutôt favorables aux politiques républicaines et qui, par conséquent, minimisent les conséquences des changements climatiques.

Un des aspects inquiétants de cette hypothèse, a-t-elle expliqué à La Presse Canadienne, est que «les modèles d'IA sont utilisés pour créer des pages web et des publications sur les médias sociaux [et] ces contenus peuvent être réutilisés pour entraîner d’autres modèles d’IA» qui, à leur tour, seront utilisés pour créer des pages web et des publications sur les médias sociaux qui, elles, entraîneront la prochaine génération de modèles d’IA, etc.

«C’est le phénomène des chambres d’écho» qui se multiplient et qui exposent les internautes aux informations qui ne font que confirmer leurs propres croyances, a souligné la chercheuse.

«Le monde de l'IA et des grands modèles de langage, comme chat GPT, crée de nouveaux défis en matière d'éducation et de pensée critique. Nous sommes désormais tout à fait enclins à confier notre réflexion à des machines, à des algorithmes qui présentent encore de profondes failles», a commenté Micheal E Mann en soulignant que «même les meilleurs modèles d’IA» font des erreurs.

«L’utilisation excessive des agents conversationnels (chatbots) et de l'intelligence artificielle nous rend extrêmement vulnérables à la désinformation », a -t-il ajouté.

En réponse aux inquiétudes d’un enseignant qui assistait à la conférence, Micheal E Mann a expliqué qu'il croyait que le développement de la pensée critique chez les étudiants, demeurait la meilleure façon d’affronter «ce défi majeur de notre époque».

La désinformation, principal risque selon un rapport fédéral

Les inquiétudes soulevées lors du Solvathon 2025 correspondent à des risques identifiés par Horizons de politiques Canada, un groupe de réflexion issue du ministère fédéral de l’Emploi et du Développement social.

Au printemps 2024, ce groupe a publié un rapport qui présente les perturbations auxquelles le pays devrait se préparer dans les prochaines années.

«Les gens ne peuvent pas dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas» est la perturbation la plus probable, selon ce rapport adressé aux dirigeants.

Cette possible perturbation s’explique par «des outils d’IA génératifs plus puissants, le déclin de la confiance dans les sources de connaissances traditionnelles et des algorithmes conçus pour susciter l’engagement émotionnel plutôt que des rapports factuels».

Les auteurs ont également souligné que «la recherche et la création de preuves scientifiques pourraient devenir de plus en plus difficiles».

En deuxième position de la liste des dix perturbations les plus probables de se produire au pays d'ici le début des années 2030 figure la perte irréversible de la biodiversité et l’effondrement des écosystèmes en raison notamment des changements climatiques.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne

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