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La FMSQ demande l'anonymité de certains témoins; les médias et le PGQ disent non.

durée 18h02
4 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Le juge Pierre Nollet de la Cour supérieure aura une décision inhabituelle à rendre en marge de la contestation judiciaire de la loi 2 du ministre de la Santé, Christian Dubé, par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Le magistrat a été saisi mardi d’une demande des avocats de la Fédération qui souhaitent déposer des déclarations sous serment de cinq spécialistes, mais seulement de manière totalement anonyme, ces médecins craignant d’être sanctionnés pour leur témoignage.

Plus encore, ils demandent au tribunal d’interdire aux avocats du Procureur général du Québec (PGQ) de transmettre le contenu de leurs témoignages à leur client, soit le gouvernement lui-même. Non seulement le PGQ s’oppose-t-il à cette demande extrêmement inhabituelle, mais les avocats des grands médias se sont aussi présentés pour s’opposer à une telle demande.

«Effet kafkaesque»

L’avocat de la FMSQ, Me Jean-Philippe Groleau, soutient que ces spécialistes craignent de voir leurs témoignages utilisés pour leur imposer des sanctions. La loi 2, affirme-t-il a un «chilling effect», c’est-à-dire un effet d’autocensure et de retenue sur la contestation en raison des sanctions.

La loi a un effet «kafkaesque», a plaidé Me Groleau, invoquant le célèbre roman «Le Procès» de Franz Kafka: «Joseph K ne savait pas de quoi il était accusé, ne connaissait pas les règles», a-t-il rappelé avant d’ajouter que les spécialistes «ne font plus confiance à rien. Si on les contraint à déposer ces déclarations au ministère (de la Santé et des Services sociaux), ils vont les retirer», a-t-il menacé.

«Les gens ne peuvent plus se parler, ils ont peur de se parler. Ils effacent leurs messages pour éviter de s’incriminer», a-t-il poursuivi, dénonçant le fait que les propos tenus par le gouvernement et ses représentants laissent croire qu’il y a une «présomption de concertation», en ce sens que tout geste impliquant une diminution de prestation, que ce soit la retraite de plus d’un médecin ou le déménagement d’un couple de spécialistes hors du Québec, représente une forme de contestation organisée.

«C’est un renversement du fardeau de preuve», a-t-il argué, ajoutant que «ça, c’est le même gouvernement qui a fait adopter la Loi sur la liberté académique», une loi qui vise à empêcher les universitaires à se faire museler par une culture de vertu exacerbée.

Médias: une crainte non fondée

Prenant la parole au nom de La Presse Canadienne, La Presse, CBC et The Gazette, Me Marc-André Nadon, s’est vigoureusement opposé à une telle mesure d’anonymisation, avec l’appui d’une avocate représentant les médias de Québecor.

Me Nadon a rappelé le principe de la publicité des débats juridiques – c’est-à-dire que les causes devant les tribunaux sont publiques. Il a d’abord fait valoir que si les médias reconnaissent que les sanctions prévues par la Loi 2 sont onéreuses, elles ne s’appliquent qu’à l’extérieur du tribunal.

Un témoignage dans le cadre d’une contestation constitutionnelle d’une loi est inattaquable, a affirmé le juriste, ajoutant que «leur crainte est subjective et relève d’une interprétation qui ne peut être retenue».

Les témoignages anonymes «privent les citoyens d’une partie de la preuve. Les citoyens doivent savoir qui sont ces médecins, quelles régions et quelles institutions sont affectées», par leurs éventuelles décisions.

«Digne d'un régime totalitaire»

La publicité des débats est essentielle, a-t-il fait valoir, les journalistes étant la courroie de la justice auprès du public. «Ils sont les yeux et les oreilles du public». Le juriste n’a pas mâché ses mots, affirmant que de témoigner anonymement contre le gouvernement par crainte d’être sanctionné «c’est un non-sens et c’est digne d’un régime qui pourrait être qualifié de totalitaire».

«Comment pourrait-on faire confiance à un système judiciaire où on ne peut témoigner à visage découvert? Quelle image est-ce que ça donne?», a-t-il pesté.

Il a dit y voir une atteinte au système judiciaire «sur la base d’une perception que le Procureur général refuse de clarifier», a-t-il affirmé, se tournant vers Me Michel Déom, représentant du PGQ.

PGQ: crainte irrationnelle

Celui-ci s’est malgré tout rangé de son côté, affirmant à son tour que «la publicité des débats judiciaires est encore plus importante dans un débat contre le gouvernement».

Il a reproché à la FMSQ d’être à l’origine d’une «crainte irrationnelle que le gouvernement se livre à une chasse aux sorcières». Une simple crainte ne justifie pas, selon lui, un tel accroc à la publicité des débats.

Il s’est d’ailleurs attardé au fait qu’une de ces déclarations sous serment se basait sur des informations glanées une spécialiste dans les médias et auprès de son syndicat. «Le message de la FMSQ à ses membres alimente tout le climat qui règne actuellement.»

«Un couple qui déménage en Ontario n’est pas une action concertée pour réduire la prestation de service», a-t-il déclaré pour corriger ce qu’il estime être une fausse perception de la Loi 2.

Aussi, il a dénoncé la volonté d’empêcher les avocats de communiquer la preuve à leurs clients. Il a noté que ces spécialistes «allèguent surtout des préjudices financiers». S’ils restent anonymes, a-t-il avancé, «on ne pourra pas vérifier l’authenticité de leurs affirmations».

En réplique, les avocats de la FMSQ ont affirmé que l’enjeu n’est pas qu’on risque de reprocher à ces spécialistes d’avoir témoigné, mais bien que leurs déclarations servent à démontrer qu’ils ont posé des gestes sanctionnables.

Le juge Nollet a pris sa décision en délibéré, disant espérer pouvoir trancher jeudi, moment où il entendra la demande de sursis de la Loi 2 déposée par la FMSQ, qui cherche à en faire suspendre l’application en attendant que le tribunal se penche sur le fond.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne

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