La pilule a changé la vie des femmes il y a 65 ans, sa gratuité est encore un enjeu


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Il y a 65 ans, une petite pilule a transformé la vie des femmes et a contribué à leur émancipation. La commercialisation de la première pilule contraceptive a été autorisée au Canada le 10 juin 1960, et bien qu'elle soit assez facile d'accès, sa gratuité pour toutes les Canadiennes est toujours un enjeu.
«La pilule contraceptive, ç'a été révolutionnaire pour de vrai. Des fois, je pense qu'on l'oublie un peu aujourd'hui, justement parce qu'on a tellement accès à ces moyens de contraception, mais de pouvoir choisir si et quand on veut des enfants, ça a changé le cours de la vie des femmes», lance Anne-Sophie Gignac, la coordonnatrice politique en charge du dossier contraception à la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN).
«Parce qu'avoir un enfant, ce n'est pas un événement anodin, poursuit-elle. C'est un très bel événement, c'est magnifique quand c'est désiré, mais si ce n'est pas le cas, ça change le cours d'une vie. Il y a beaucoup de femmes encore aujourd'hui qui doivent parfois arrêter les études, elles doivent peut-être faire ajuster leur plan de carrière parce que finalement elles se retrouvent avec un enfant qui n'était peut-être pas prévu à la base.»
Les contraceptifs oraux sont la deuxième contraception la plus utilisée au Québec et au Canada, derrière le condom. Une Québécoise sur quatre utilise la pilule contraceptive, selon l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).
Mais on observe une baisse de son utilisation au Québec, entre autres en raison de la multiplication des méthodes, selon Mme Gignac.
«Il y a aussi beaucoup de femmes qui disent vivre des effets secondaires de l'utilisation de la pilule. Ça peut aller des maux de tête, aux migraines, à la prise de poids, ça peut aller jusqu'à la dépression ou de l'anxiété. Ce sont des hormones, donc ça joue sur tout le système», indique-t-elle.
Les contraceptifs oraux ont aussi leur utilité, mentionne la Dre Donna Cherniak, qui a pratiqué comme médecin de famille et en obstétrique dans les années 1970 avant de prendre sa retraite en 2024. Elle a coécrit le Birth Control Handbook en 1968, qui a permis aux femmes d'obtenir des informations sur la régulation des naissances. Trois ans après la première diffusion, la brochure obtient le record des ventes annuelles de toutes les publications canadiennes.
«Il y a des choses plus dangereuses que la pilule qui sont sans prescription sur le marché, dit-elle. La pilule a énormément de bienfaits positifs: c'est utilisé pour le traitement d'endométriose, moins de kystes, il y a moins d'anémie. Les femmes qui ont des menstruations difficiles, c'est vraiment un changement de vie pour elles avec la pilule. Puis maintenant, pour une femme qui ne fume pas, si elle veut, elle peut la prendre jusqu'à la ménopause.»
Mentir pour avoir droit à la contraception
La pilule a un taux d'efficacité réel de 91 %, et elle a l'avantage de pouvoir être arrêtée à n'importe quel moment. Elle peut aussi minimiser les symptômes d'acné, diminuer les douleurs menstruelles et régulariser les saignements.
D'ailleurs, lorsqu'elle a été commercialisée en 1960, la pilule contraceptive ne pouvait pas être prescrite spécifiquement pour éviter de tomber enceinte, puisque c'est seulement en 1969 que la prescription à des fins contraceptives cesse d'être illégale au pays.
Pendant ces neuf années, soit les femmes mentaient pour pouvoir y avoir accès en toute légalité, en s'inventant des symptômes par exemple, soit les médecins justifiaient la prescription avec une raison bidon.
C'est ce que raconte Donna Cherniak. «Les femmes n'avaient pas de contrôle sur combien, quand ou si oui ou non elles auront des enfants. Les attitudes par rapport à la sexualité et par rapport à la situation de la femme étaient complètement différentes.»
Bien qu'elle qualifie la pilule d'un «game changer», elle explique qu'on ne peut pas attribuer l'émancipation des femmes uniquement à ce petit comprimé. À cette époque, les femmes commençaient à intégrer davantage le marché du travail et aussi à avoir plus d'éducation.
«Donc, la pilule arrive et les deux vont ensemble. Plus que les femmes étaient éduquées, plus elles voulaient une contraception efficace. Et plus il y avait une contraception efficace, plus les femmes étaient capables d'aller plus loin pour l'éducation et sur le marché de travail. On ne peut pas dire que la contraception a amené les femmes à aller sur le marché du travail, ni vice versa, mais c'était une affaire qui est arrivée un peu ensemble», explique Mme Cherniak.
La pilule a aussi eu des effets pervers par rapport aux abus et au viol à l'intérieur des couples. «Ça rendait les femmes beaucoup plus disponibles aux partenaires, sans l'excuse du risque de grossesse pour dire que non, je n'ai pas envie d'une relation sexuelle», pointe la féministe.
Coagulation et décès: la pilule fait la une
La pilule contraceptive a déjà eu mauvaise presse. En 2012 et 2013, des actions collectives ont été entreprises contre des fabricants de contraceptifs de troisième et quatrième générations au Canada. On rapporte des centaines de cas d’effets secondaires graves et même un lien avec une vingtaine de décès au pays.
«Il y a eu une presse méritée parce qu'il fallait prendre ça au sérieux», commente Mme Cherniak. Elle souligne toutefois que les doses d'estrogène dans les comprimés étaient beaucoup plus fortes à l'époque — 150 microgrammes versus 20 à 35 microgrammes aujourd'hui. «C'est une grosse différence, dit-elle. Et on apprend plus de choses maintenant sur toute la question de la coagulation qu'on ne savait pas dans le temps.»
Au fil des ans et des nouvelles méthodes, l'ancienne médecin de famille se souvient que ç'a été un apprentissage pour elle et ses paires d'apprendre comment aider les femmes à choisir une contraception qui correspondait à leur style de vie.
Et les hommes dans tout ça?
Anne-Sophie Gignac trouve qu'on ne parle pas assez de la charge contraceptive qui repose encore presque uniquement sur les femmes. «Ce n'est pas nécessairement par choix que les femmes vont avoir recours à un contraceptif, c'est parce qu'au contraire, elles n'ont pas le choix si elles ne veulent pas tomber enceintes», met-elle de l'avant.
À part le condom et la vasectomie, il n'y a pas vraiment d'autres méthodes adressées aux hommes. Ainsi, même si les hommes voulaient prendre une partie de la charge, c'est assez compliqué. Cela dit, ils peuvent aller chercher la prescription à la pharmacie ou payer pour celle-ci.
Des recherches sont en cours pour développer une pilule contraceptive pour les hommes, mais pour des raisons biologiques et sociologiques, le produit ne sera pas prêt de sitôt, selon Mme Cherniak.
Elle plaide pour la contraception gratuite, tout comme la FQPN qui a lancé une pétition demandant la gratuité qui a récolté environ 100 000 signatures. La pétition a été déposée à l'Assemblée nationale en 2024 par la porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal, qui a aussi déposé un projet de loi pour la gratuité de la contraception au Québec cette année. Le gouvernement n'y a pas donné suite pour le moment.
C'est aussi l'objectif du gouvernement fédéral que la contraception soit gratuite au pays, et c'est déjà chose faite au Manitoba et en Colombie-Britannique. La pilule contraceptive coûte jusqu'à 300 $ par année pour l'utilisatrice, et le coût grimpe à 500 $ pour un stérilet.
Mme Cherniak s'inquiète par ailleurs de certaines politiques récemment mises en place aux États-Unis, notamment avec le renversement de Roe c. Wade qui a donné le pouvoir aux États de décider d'interdire le droit à l'avortement. Si c'est possible de rendre illégale la vente de la pilule abortive, qui nous dit que ça ne peut pas arriver pour la pilule contraceptive, prévient-elle.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne