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La sécurité financière, un rêve lointain pour les jeunes Canadiens

durée 07h56
16 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

Quatre mois, cinquante candidatures, deux entrevues, aucun emploi.

L'histoire de Lauren Hood, une diplômée en sciences politiques, pourrait sonner une cloche chez d'autres personnes de sa génération.

«Après avoir terminé mes quatre années d'études et obtenu mon diplôme, je ne pensais pas que ce serait aussi difficile» de trouver un emploi, souligne-t-elle.

La jeune femme de 21 ans vit chez ses parents à Aurora, en Ontario, depuis l'obtention de son diplôme.

Elle se souvient d'avoir postulé à un emploi qui, selon elle, correspondait parfaitement à ses qualifications. L'entreprise a dû fermer le portail de candidature plus tôt que prévu, après avoir reçu plus de 450 CV.

Même les emplois pour lesquels elle se sent plus que qualifiée, comme serveuse dans un restaurant ou vendeuse dans un magasin, se sont faits rares.

Encaisser les refus n'a pas toujours été facile, de sorte qu'elle s'est demandé s'il valait encore la peine de soumettre sa candidature.

«J'ai l'impression d'être en retard, même si je viens tout juste d'obtenir mon diplôme», avoue-t-elle.

«Je n'ai pas vraiment de stabilité dans ma vie, ni même d'horaire. Je vis au jour le jour, et c'est vraiment stressant.»

Désenchantement

De nombreux jeunes qui se sont entretenus avec La Presse Canadienne partagent ce désenchantement: ils ont l'impression que, même s'ils travaillent fort, ils n'auront pas accès à la même qualité de vie que leurs parents et grands-parents.

Ils disent avoir du mal à progresser sur un marché du travail qui manque d'opportunités et dans une économie où la hausse des prix les empêche d'accéder à ce que l'on considère dans notre société comme la «vie d'adulte».

Le chômage a atteint 14,7 % chez les jeunes en septembre, soit son niveau le plus élevé en 15 ans en dehors des années de pandémie, selon Statistique Canada. Les jeunes ont eu accès à plus de postes en octobre et novembre, mais les niveaux d'emploi n'ont pas beaucoup augmenté par rapport à l'été dernier.

Les perspectives de carrière des jeunes travailleurs sont en baisse depuis des années.

Toujours selon Statistique Canada, en 1989, près de 80 % des travailleurs âgés de 15 à 30 ans avaient un emploi permanent à temps plein. Trente ans plus tard, en 2019, ce chiffre avait reculé à environ 70 %. Et cinq ans après, il était sous la barre des 60 %.

L'économie canadienne est actuellement sous pression, en raison des droits de douane américains et de l'incertitude commerciale, ce qui freine les embauches. De nombreux économistes affirment que les jeunes et les autres Canadiens vulnérables sont généralement les premiers à ressentir les effets de la crise lorsque les offres d'emploi se tarissent.

«C'est en grande partie ce que nous avons constaté cet été: les entreprises qui auraient été de grands employeurs n'étaient tout simplement pas là», mentionne l'économiste Kari Norman, l'une des auteurs d'un rapport de Desjardins sur le chômage chez les jeunes publié en septembre.

Desjardins a constaté que la forte hausse du chômage chez les jeunes est plus caractéristique d'une récession que du ralentissement économique modéré auquel le pays semble actuellement confronté.

L'une des explications avancées pour justifier ce déséquilibre est la croissance démographique. Le gouvernement fédéral a ouvert les vannes de l'immigration afin de répondre à la forte demande de main-d'œuvre des entreprises après la pandémie, note Mme Norman.

Ottawa a depuis tempéré le flux de nouveaux arrivants, ce qui, selon Mme Norman, contribuera à rééquilibrer les perspectives d'emploi à long terme. Mais pour l'instant, les portes d'entrée sur le marché du travail se font rares.

L'intelligence artificielle est également de plus en plus utilisée pour effectuer les tâches de base qui permettaient auparavant aux jeunes travailleurs d'obtenir leur premier emploi. Selon Mme Norman, cela crée un fossé entre les postes de débutants et ceux qui nécessitent quelques années d'expérience.

«Comment les jeunes vont-ils acquérir leurs cinq premières années d'expérience?» se demande-t-elle.

Difficile de payer le loyer

Pour Osobe Waberi, la réponse à cette question se trouvait ailleurs qu'au Canada.

Depuis une dizaine d'années, elle vivait à Toronto. Mais lorsque le loyer de son appartement en colocation dans le centre-ville de Toronto a augmenté de 500 $ par mois, son emploi à temps plein ne lui permettait plus d'arriver.

Elle a déménagé à Oman au début de l'année avec un permis de séjour de deux ans. Ce pays du Moyen-Orient lui offrait ce qu'elle recherchait: l'occasion d'accélérer son épargne tout en créant une agence de relations publiques destinée à une clientèle canadienne.

À terme, Mme Waberi souhaite retourner à Toronto.

«J'adore Toronto, c'est chez moi, et ma ville me manque beaucoup. Mais j'en avais surtout assez de payer le loyer», explique-t-elle.

Les données de Generation Squeeze, une organisation à but non lucratif qui vise à égaliser les chances pour les jeunes Canadiens, suggèrent qu'il est beaucoup plus difficile pour eux d'accéder à la propriété.

En 1986, il fallait cinq ans à une personne âgée de 25 à 34 ans pour économiser 20 % du prix d'achat d'une maison représentative au Canada, selon les calculs de l'organisation. En 2021, ce chiffre était de 17 ans à l'échelle nationale, et même de 27 ans dans les régions métropolitaines de Vancouver et de Toronto.

Le fondateur de Generation Squeeze, Paul Kershaw, note que le temps nécessaire pour économiser en vue d'acheter une maison s'est inversé ces dernières années, tombant à près de 14 ans en 2024, dans un contexte de stagnation du marché immobilier et de baisse des taux d'intérêt.

Mais les prix des maisons devront encore baisser fortement à partir de maintenant si les jeunes Canadiens veulent avoir les mêmes chances d'accéder à la propriété que les générations précédentes, ajoute-t-il.

Séquelles économiques

Lisa Taylor, fondatrice de Challenge Factory, un cabinet de conseil spécialisé dans l'avenir du travail, mentionne que les jeunes sont confrontés à des «séquelles économiques» depuis la pandémie.

Les restrictions imposées au travail en présentiel ont empêché de nombreux jeunes de vivre en personne des expériences cruciales pour se constituer un réseau professionnel au début de leur carrière, évoque-t-elle.

Mme Taylor soulève toutefois que les défis économiques auxquels les jeunes sont confrontés pourraient refléter non pas une perte d'espoir, mais un changement d'échéancier.

Beaucoup d'entre eux restent plus longtemps à l'école et, par conséquent, entrent plus tard sur le marché du travail, se marient plus tard et achètent une maison lorsqu'ils ont accès au traditionnel ménage à double revenu.

«La génération Z est-elle fichue? Ou est-ce simplement qu'elle met plus de temps à franchir les différentes étapes?»

Mme Norman dit constater l'impact du marché du travail difficile chez elle, où quatre de ses enfants sont âgés de 16 à 25 ans. L'un d'eux, étudiant à l'université, n'a pas réussi à trouver de stage pendant l'été, de sorte qu'il a suivi des cours supplémentaires pour compenser cette expérience perdue.

Les étudiants qui ne trouvent pas de travail avant ou après l'obtention de leur diplôme pourraient choisir de rester plus longtemps à l'école et, ainsi, dépendre de plus en plus de l'endettement pour financer leurs études.

«Ils finiront par obtenir leur diplôme avec plus de dettes qu'ils n'en auraient eu autrement, et c'est quelque chose qui peut peser sur les jeunes adultes pendant de nombreuses années.»

Lueur d'espoir

Quelques semaines après sa première conversation avec La Presse Canadienne, la chance a commencé à tourner pour Lauren Hood.

Alors qu'elle passait un entretien pour un emploi dans un centre commercial près de chez elle, elle a reçu sur-le-champ une offre pour commencer à travailler dans un magasin.

Il s'agit d'un emploi saisonnier, sans avantages sociaux, qui ne correspond pas à ses aspirations professionnelles à long terme.

Mais pour l'instant, le soulagement d'avoir un salaire est plus que suffisant.

«Je suis toujours très reconnaissante d'avoir la chance de retourner au travail», conclut-elle.

Craig Lord et Ritika Dubey, La Presse Canadienne

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