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La tuerie en Saskatchewan met en lumière la «libération d'office» des détenus

durée 11h57
13 septembre 2022
La Presse Canadienne, 2022
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2022

OTTAWA — Au mois de mai dernier, un agent de libération conditionnelle a lancé un mandat d'arrêt contre un délinquant au passé criminel violent qui venait d'être libéré d'une prison en Saskatchewan, mais qui ne s'était pas rapporté aux autorités. 

Une centaine de jours plus tard, Myles Sanderson était toujours en liberté illégale lorsqu'il a été identifié comme suspect dans une série d'agressions meurtrières au couteau qui a fait 11 morts – dont son frère, Damien Sanderson, le deuxième suspect — dans la communauté crie de James Smith et dans le village voisin de Weldon, en Saskatchewan. Les agressions au couteau ont aussi fait 18 blessés, pendant la fin de semaine de la fête du Travail. 

Après une chasse à l'homme de quatre jours, Myles Sanderson a été arrêté sur une route rurale et il est mort en détention. La Gendarmerie royale du Canada a indiqué que le suspect était entré en «détresse médicale»; une enquête est en cours sur les circonstances de sa mort.

La tragédie a évidemment suscité un examen attentif sur la manière dont Myles Sanderson avait réussi à être libre dans les mois qui ont précédé les attentats. Et, de façon plus générale, comment les autorités devraient traiter les délinquants violents qui enfreignent les règles de leur libération conditionnelle. 

Le Service correctionnel du Canada affirme que c'est à la police de capturer les délinquants qui ne respectent pas les conditions de leur libération. Mais la police rappelle que les mandats d'amener qui visent ces suspects viennent s'ajouter aux innombrables autres qui atterrissent sur les bureaux des corps policiers. «C'est là le problème: tout le monde se renvoie la balle», estime Scott Blandford, un ancien sergent de la Police de London, en Ontario.  

Myles Sanderson avait été libéré dans la communauté en août 2021 en vertu de ce qu'on appelle une «libération d'office», qui entre en vigueur lorsque les détenus sous responsabilité fédérale ont purgé les deux tiers de leur peine. Les délinquants purgent alors le reste de leur peine dans la collectivité et doivent se présenter régulièrement à un agent de libération conditionnelle. Ils doivent aussi respecter les conditions de leur libération d'office.

Jane Sprott, professeure de criminologie à l'Université métropolitaine de Toronto, explique que cette mesure transitoire laisse aux délinquants le temps de réintégrer la collectivité après avoir vécu dans un «environnement carcéral étroitement contrôlé».

«La plupart de ces détenus sont grandement aidés lorsqu'ils bénéficient d'une période de soutien à la réintégration», a-t-elle déclaré dans un courriel. Selon la criminologue, l'alternative est de les libérer après la totalité de leur peine de prison «sans aucune surveillance ni réinsertion», ce qui augmente leurs risques de récidive.

Non-respect des règles de libération

Quatre mois après sa remise en liberté, on a appris que Myles Sanderson avait menti sur ses conditions de vie dans la collectivité, et sa libération d'office a alors été suspendue. Mais ce n'était pas la première fois qu'il enfreignait des règles de libération.

Les documents de libération conditionnelle montrent qu'il avait été reconnu coupable de 59 infractions, dont 28 pour non-respect des conditions de libération ou défaut de comparaître devant le tribunal. Son casier judiciaire comportait des agressions violentes, notamment contre des personnes victimes de ses récentes attaques.

Selon les documents, M. Sanderson a demandé à la Commission des libérations conditionnelles d'annuler la suspension de sa libération d'office, en plaidant qu'il était resté sobre et qu'il avait trouvé du travail.

Bien que son superviseur des libérations conditionnelles ait recommandé que sa libération soit révoquée en raison de sa «tromperie», la commission a décidé en février dernier d'annuler la suspension et elle a choisi de le libérer «avec réprimande».

Mais en mai, le Service correctionnel du Canada l'a jugé «en liberté illégale» et un agent de libération conditionnelle a lancé un mandat d'arrestation contre lui.

Une copie de ce mandat, obtenue par La Presse Canadienne, montre que M. Sanderson n'avait pas de domicile fixe. Le Service correctionnel soutient que dans de tels cas, les responsables de la prison contactent des proches d'un délinquant pour essayer de le localiser, mais que c'est finalement à la police de l'arrêter et de le ramener en prison.

«(Nous) travaillons en étroite collaboration avec la police pour nous assurer qu'elle dispose de toutes les informations nécessaires afin d'exécuter le mandat et de ramener le délinquant», a expliqué un porte-parole du Service correctionnel.

La police débordée

Mais Brian Sauvé, président de la Fédération de la police nationale, qui représente les policiers de la GRC, a déclaré qu'à moins qu'il ne s'agisse d'un cas très médiatisé, les autorités de libération conditionnelle ne communiquent pas de manière proactive avec la police lorsqu'un délinquant part en cavale. En fait, ce qui arrive souvent, c'est que le nom du délinquant apparaît tout simplement dans une base de données: «ils ne décrochent pas le téléphone», assure M. Sauvé. 

Et selon l'ex-sergent Blandford, ces dossiers d'arrestation de contrevenants à la libération conditionnelle tombent généralement au bas de la pile, parce que les policiers sont déjà trop occupés ailleurs. Des milliers de mandats sont lancés chaque jour à travers le Canada, a-t-il dit, et «les ressources sont limitées».

L'automne dernier, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé un financement pour la création d'une unité spéciale consacrée à la capture des fugitifs. On ignore si cette unité enquêtait activement sur le cas de M. Sanderson début septembre. La GRC en Saskatchewan n'a pas encore répondu à une demande de commentaire.

On ne sait pas non plus si une enquête conjointe du Service correctionnel et de la Commission des libérations conditionnelles sur la libération de Myles Sanderson, annoncée par le ministre de la Sécurité publique Marco Mendicino après la tragédie, se penchera sur les raisons pour lesquelles le suspect est resté en liberté jusqu'aux attentats de septembre.

MM. Sauvé et Blandford ont tous deux déclaré qu'un changement de politique devrait être apporté afin que les agents de la paix qui travaillent pour les autorités de libération conditionnelle et les services correctionnels puissent jouer un rôle plus actif dans la recherche des délinquants, plutôt que de compter uniquement sur les efforts des corps policiers.

David Fraser et Stephanie Taylor, La Presse Canadienne