Le recours à l'armée par Trump est signe d'une militarisation des forces de l'ordre


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Par La Presse Canadienne, 2025
WASHINGTON — Des experts estiment que le déploiement de la Garde nationale à Washington par le président américain Donald Trump représente un aperçu inquiétant de ce qui pourrait bientôt se produire ailleurs, alors que le président menace de déployer la force militaire dans d'autres bastions démocrates – que les dirigeants locaux le veuillent ou non.
Les soldats – qui ne sont pas autorisés à parler aux médias – sont stationnés dans la ville depuis le 11 août, lorsque le président Trump a déclaré l'état d'urgence pour lutter contre la criminalité. Cet état d'urgence devrait prendre fin le 10 septembre, à moins que le Congrès ne la prolonge.
On ne sait pas ce qui se passera la semaine prochaine. Bien que le Congrès ait indiqué qu'il ne voterait pas sur une prolongation, Donald Trump a suggéré que les troupes restent plus longtemps à Washington.
Ce déploiement a suscité la colère de nombreux résidents. Ces derniers soulignent que les troupes de la Garde nationale sont principalement concentrées dans les zones touristiques ou dans les transports en commun, et qu'on les voit souvent regarder leur téléphone ou errer dans les rues.
On rapporte que cette mission coûte au moins un million de dollars par jour aux contribuables américains.
Les habitants sont également mécontents de la façon dont M. Trump s'empare de l'autonomie déjà limitée de la capitale. Des milliers de pancartes «Libérez Washington» sont apparues sur les vitrines au travers de la ville et de nombreuses manifestations contre le déploiement ont lieu chaque semaine.
Contestations judiciaires
Jeudi, le district de Columbia a intenté une action en justice contre l'administration Trump, qualifiant ce déploiement d'utilisation illégale de l'armée à des fins de maintien de l'ordre public.
«Aucune juridiction américaine ne devrait être soumise involontairement à une occupation militaire», a indiqué Brian Schwalb, procureur général élu du district, dans la plainte.
Aux États-Unis, il existe une longue tradition d'opposition à l'intervention militaire dans les opérations de police intérieure, a expliqué Aziz Huq, professeur de droit à l'Université de Chicago et auteur de «The Collapse of Constitutional Remedies».
La loi Posse Comitatus interdit à l'armée fédérale ou à la Garde nationale fédéralisée de participer à des activités de maintien de l'ordre, à moins qu'elles ne soient expressément autorisées par la loi.
La Garde nationale a déjà été fédéralisée par le passé – placée sous le contrôle du président, plutôt que d'un gouverneur – pour répondre à des catastrophes naturelles ou à d'autres crises, lorsqu'un gouverneur jugeait nécessaire une aide fédérale.
Cela s'est produit lors de l'ouragan Katrina en 2005 et lors des émeutes qui ont suivi le procès de Rodney King en 1992.
«Il est très rare que la Garde nationale soit appelée en renfort malgré l'opposition d'un gouverneur de l'État, a soutenu M. Huq. L'exemple le plus frappant est celui de la Garde nationale appelée à Little Rock, en Arkansas, pour faire respecter les décrets de déségrégation, malgré l'opposition du gouverneur de l'Arkansas.»
Le fondement juridique du déploiement de la Garde nationale par Donald Trump «soulève de nombreuses questions complexes concernant les lois fédérales qui autorisent ou interdisent les activités militaires aux États-Unis», a indiqué le professeur de droit.
Un juge fédéral a statué mardi que l'administration Trump avait enfreint la loi en envoyant la Garde nationale à Los Angeles début juin, en réponse à des journées de manifestations contre les rafles des services d'immigration.
La décision du juge de district américain Charles Breyer a pris note des menaces de Donald Trump de déployer des troupes dans d'autres villes, affirmant que cela soulève des inquiétudes quant à la possible création d'une «force de police nationale dirigée par le président».
D'autres villes menacées de déploiement
Le président lui-même est peut-être conscient que ses menaces d'envoyer des troupes dans d'autres villes reposent sur un fondement juridique fragile. Mercredi, il a exhorté le gouverneur démocrate de l'Illinois, J.B. Pritzker, à lui téléphoner pour lui demander d'envoyer la Garde nationale à Chicago.
M. Pritzker a rejeté cette demande et, mardi, a qualifié les propos du président de «déjantés».
Donald Trump a également mentionné que La Nouvelle-Orléans pourrait être sa prochaine cible: une ville républicaine dans un État républicain où il pourrait agir avec le soutien du gouverneur.
Si Chicago a été la cible des menaces de déploiement, M. Trump a également évoqué à plusieurs reprises l'envoi de troupes à Baltimore, contre la volonté du maire et du gouverneur de l'État, Wes Moore, tous deux démocrates.
M. Huq a affirmé que si des troupes sont éventuellement déployées à Chicago et à Baltimore, il s'attend à ce que l'administration Trump démontre la nécessité de cette mesure pour faire respecter la loi fédérale.
Si un tribunal autorisait ces déploiements, a-t-il ajouté, cela abaisserait le seuil légal pour de tels déploiements à l'avenir.
«Lorsque les tribunaux rendent des décisions abaissant les conditions de déclenchement d'un déploiement, je pense que cela représente un risque grave», a-t-il ajouté.
Il y a quelques jours, sur la pelouse juste devant la gare Union, un groupe d'anciens combattants était assis sous une tente, des pancartes de protestation pointées vers les troupes. Lelaina Brandt, âgée de 49 ans, a expliqué que le groupe, baptisé «Remember Your Oath», est composé d'anciens combattants alarmés par ce qu'ils considèrent comme une «montée de l'autoritarisme» aux États-Unis.
«Nous craignons qu'il ne s'agisse que d'une sorte de cuisson lente, où il habitue les gens à l'idée d'avoir des militaires armés dans les rues de nos villes», a précisé Mme Brandt.
Les troupes ne sont pas censées lutter contre la criminalité, a-t-elle ajouté, et l'armée ne devrait pas s'opposer aux Américains.
Matthew Lebo, professeur de sciences politiques à l'Université Western de London, en Ontario, a averti que si les activités des troupes jusqu'à présent peuvent sembler anodines – certaines ont même été aperçues en train de ramasser des déchets – leur présence constitue néanmoins un acte d'intimidation.
Selon lui, les Américains ne devraient pas avoir à accepter l'autoritarisme comme un compromis pour réduire la criminalité.
«C'est une mesure effrayante.»
— Avec les informations de l'Associated Press
Kelly Geraldine Malone, La Presse Canadienne