Les baby-boomers continuent de bouder les États-Unis

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Près de dix mois après l’entrée en fonction du président Donald Trump, des centaines de milliers de Canadiens continuent d’éviter les États-Unis, les baby-boomers étant les plus nombreux à bouder les voyages au sud de la frontière. Les jeunes sont plus enclins à s’y rendre.
Le nombre de Canadiens revenant des États-Unis en voiture et en avion a diminué d'environ un tiers en septembre par rapport au même mois l’année dernière, selon des données préliminaires de Statistique Canada. Il s'agit du neuvième mois consécutif de baisse pour les voyages en voiture.
«Les Canadiens privilégient de plus en plus les destinations autres que les États-Unis. Nous l'avons constaté particulièrement chez les baby-boomers», affirme Will McAleer, directeur général de l'Association canadienne de l'assurance voyage (THIA).
Selon un sondage de la THIA, le nombre de baby-boomers susceptibles de se rendre aux États-Unis cet hiver a diminué de deux tiers, pour s'établir à 10 %. En revanche, la baisse chez les répondants de la génération Z n'a été que de 18 %, pour atteindre 44 %.
Plus on est jeune, plus l'envie de voyager est forte, même si elle demeure faible pour toutes les tranches d'âge. L'aversion croissante pour les États-Unis s'explique par les tensions politiques liées aux droits de douane imposés par Donald Trump et à sa rhétorique sur le 51e État, ainsi que par la hausse des coûts et du taux de change – le dollar canadien vaut environ 71 cents américains –, selon l'enquête.
Pour s'adapter à l'évolution des habitudes de voyage, Air Canada a augmenté le nombre de ses vols vers les Caraïbes, l'Amérique latine et l'Europe, tout en réduisant sa capacité vers les États-Unis. D'autres compagnies aériennes ont pris des mesures similaires.
Les Américains le remarquent. Plusieurs États ont lancé des campagnes touristiques visant à inciter les Canadiens à revenir dans leurs complexes hôteliers et leurs restaurants.
En Californie, les visiteurs canadiens devraient dépenser 3 milliards $ US cette année, contre 3,7 milliards $ US en 2024, souligne Ryan Becker, vice-président principal de Visit California, une organisation à but non lucratif qui a lancé la campagne «La Californie aime le Canada» avec le gouverneur Gavin Newsom plus tôt cette année.
«C’est un coup dur pour le secteur. Nous prenons cette situation très au sérieux», a indiqué M. Becker la semaine dernière depuis Toronto, où il accompagnait une délégation d’une douzaine de dirigeants du tourisme californien lors d’une visite incluant Calgary et Vancouver.
Pourtant, le trafic frontalier est loin d’être négligeable. Près de 1,8 million de Canadiens sont rentrés des États-Unis par voie terrestre ou aérienne en septembre, selon les données de Statistique Canada.
Un dilemme
Nombreux sont ceux qui se trouvent face à un dilemme.
Alanni Duenas a emmené son fils d’un an à Chicago pour le mariage d’un ami ce mois-ci, malgré ses vives inquiétudes quant à la répression menée par les services de l’immigration et des douanes américaines (ICE).
«Le quartier où je vais, d’où vient ma famille, est durement touché par l’ICE. L’ICE débarque de nulle part, arrête des gens, et on n’a plus de nouvelles d’eux», a déclaré cet homme qui possède la double nationalité.
Deux de ses oncles, citoyens américains naturalisés, ont été détenus temporairement, a-t-il précisé. Sa compagne, Giuliana Biancardi, a confié être «très nerveuse». «Il est hors de question d'y retourner juste pour le plaisir», a-t-elle dit.
«Mon père étant haïtien, j’ai une certaine appréhension à l’idée d’aller aux États-Unis. Ce n’est pas une destination attrayante», a confié Nathalie Morisseau, évoquant ses inquiétudes concernant l’application des lois sur l’immigration et l’attitude envers les étrangers, à l’aéroport de Montréal avant de s’envoler pour la République dominicaine à la fin du mois dernier.
Pour d'autres, des considérations telles que le coût du voyage ou les liens familiaux les incitent à revenir.
«Les jeunes n'ont pas forcément le budget pour voyager plus loin. Aller à Disney à Orlando est probablement moins cher qu'aller à Disney à Tokyo», a indiqué Barry Choi, qui gère le site web de finances personnelles et de voyages Money We Have.
Ceux qui souhaitent encore voir Broadway, Beale Street ou Sunset Boulevard pourraient opter pour ce que M. McAleer appelle le «tourisme discret»: une approche confidentielle du tourisme, peu présente sur les réseaux sociaux, partagée à voix basse ou avec une pointe de culpabilité.
«Ils voyagent, mais ils ne vont pas en parler ouvertement de la même manière», a-t-il dit.
Parallèlement, les voyages d’affaires vers les grandes villes américaines se poursuivent à un rythme soutenu, selon Flight Centre Canada.
«Les affaires sont les affaires. On n’a pas le choix», a déclaré Catherine Paquin, qui travaille comme concessionnaire de bateaux avec son mari. La semaine dernière, elle s’est rendue de Montréal à Washington pour récupérer un bateau dans le Maryland et le transporter jusqu’à Fort Lauderdale, en Floride.
«Le marché nautique est en Floride», a-t-elle souligné, tout en reconnaissant les réticences de certains. «Beaucoup de mes amis ne veulent pas aller aux États-Unis en ce moment pour des raisons politiques.»
Les Canadiens possédant une propriété au-delà du 49e parallèle continueront probablement d'y revenir. Entre 30 et 40 % des «snowbirds» possèdent une résidence aux États-Unis, selon Stephen Fine, fondateur de Snowbird Advisor Insurance. Environ 70 % d'entre eux s'y rendent en voiture.
«Ils sont peu susceptibles de laisser leur appartement ou leur maison vides pour l'hiver. Pour ceux qui souhaitent garder leur véhicule avec eux durant l'hiver, les États-Unis sont pratiquement leur seule option», a-t-il soutenu.
Il y a aussi l'aspect social. «Ils ont des communautés et des amis qu'ils retrouvent chaque année. C'est important pour eux», a-t-il ajouté.
Pour ceux qui hésitent encore à se rendre aux États-Unis durant l’ère Trump, le climat pourrait bien finir par en convaincre certains.
«Nous n'avons même pas encore eu la première tempête de neige. Normalement, cela donne envie aux gens de partir», a affirmé Jill Wykes, rédactrice en chef de Snowbird Advisor, une ressource en ligne pour les Canadiens qui passent l'hiver à l'étranger.
Christopher Reynolds, La Presse Canadienne