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Selon des experts, le groupe de travail sur l'IA est trop axé sur l'industrie

durée 16h40
8 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Le gouvernement libéral a donné à son nouveau «groupe de travail» sur l'intelligence artificielle (IA) jusqu'à la fin du mois pour accélérer les changements à la stratégie nationale en la matière. Mais, selon ses critiques, ce plan s'appuie trop sur le point de vue de l'industrie et du secteur technologique.

Teresa Scassa, professeure de droit à l'Université d'Ottawa et titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit et politique de l'information, a déclaré que la composition du groupe de travail de 27 membres «favorise les voix de l'industrie et l'adoption des technologies d'IA».

Les risques posés par l'intelligence artificielle pour la culture, l'environnement et la main-d'œuvre du Canada «méritent une plus grande attention dans une stratégie nationale», a prévenu Mme Scassa dans un courriel.

Le ministre de l'Intelligence artificielle, Evan Solomon, a annoncé la création du groupe de travail le mois dernier et lui a confié un «sprint national» de 30 jours pour formuler des recommandations en vue d'une stratégie d'IA «actualisée». M. Solomon a précisé que la nouvelle stratégie sera publiée plus tard cette année, soit près de deux ans plus tôt que prévu.

Le groupe a été chargé d'examiner divers aspects de l'IA, notamment la recherche, l'adoption, la commercialisation, l'investissement, l'infrastructure, les compétences et la sécurité. Le gouvernement organise également une consultation publique sur sa stratégie en matière d'IA.

Le Canada a été le premier pays à lancer une stratégie nationale en matière d'IA en 2017; il l'a mise à jour en 2022. Le budget fédéral de l'année dernière prévoyait un investissement supplémentaire de 2,4 milliards $ dans l'IA, dont la majeure partie est consacrée au renforcement des capacités informatiques et de l'infrastructure technologique. Ottawa a également lancé une stratégie en matière d'IA pour la fonction publique fédérale plus tôt cette année.

Joel Blit, professeur agrégé d'économie à l'Université de Waterloo, s'est dit encouragé par l'approche du gouvernement, mais que, même si un délai de 30 jours pour la mise à jour d'une stratégie nationale en matière d'IA est «quasiment inédit», la technologie évolue rapidement et le Canada ne suit pas le rythme.

Un article récent de l'Institut C.D. Howe a souligné que, bien que le Canada se classe au deuxième rang mondial pour les chercheurs de haut niveau en IA et soit «premier du G7 pour les articles universitaires sur l'IA par habitant», il se classait au 20e rang des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour l'adoption de l'IA en 2023.

M. Blit a aussi jugé que le gouvernement n'avait pas suffisamment investi dans la littératie et l'éducation en IA et a appelé à des campagnes de littératie en IA «de la même manière qu'il y a peut-être 100 ans, nous menions des campagnes de littératie en lecture et en écriture».

Lacunes sur les aspects sociaux et éthiques

Luc Vinet est professeur de physique à l'Université de Montréal et PDG d'IVADO, un consortium de recherche axé sur l'adoption de l'IA. Il a suggéré que le gouvernement se concentre sur le développement d'une «infrastructure humaine nationale» en IA en reliant les professionnels du milieu universitaire et de l'industrie.

«Nous disposons d'experts remarquables en IA, mais ils pourraient ne pas accompagner un médecin qui souhaite adopter l'IA», a-t-il expliqué.

Bien que Joel Blit ait déclaré ne pas vouloir critiquer le groupe de travail, il a noté que sa composition semble être majoritairement composée de représentants de l'industrie.

«Qui va plaider pour que chaque Canadien en profite, pour que nous investissions dans l'éducation, l'alphabétisation et tout ce dont nous aurons besoin?» a-t-il demandé.

Teressa Scassa a déclaré, dans une récente publication en ligne, que peu de membres du groupe de travail se spécialisent en sciences sociales ou étudient les dimensions éthiques de l'IA.

«Il n'y a pas d'experts en matière de travail et d'emploi (qui sont au cœur des préoccupations de nombreux Canadiens ces jours-ci), ni de représentants spécialisés dans les enjeux environnementaux que soulève, comme nous le savons déjà, l'innovation en IA», a-t-elle écrit.

Le groupe de travail compte parmi ses représentants des entreprises telles que Cohere, développeur d'IA générative, CGI, une société de conseil en TI et en affaires, la Banque Royale du Canada, la société de capital-risque Inovia Capital, ou encore des sociétés de recherche en IA, d'infonuagique ou de stockage de données.

Parmi les membres universitaires figurent trois professeurs d'informatique, un doyen de génie, un professeur de gestion stratégique, un professeur de médecine et le directeur fondateur d'un centre de recherche sur les médias, la technologie et la démocratie.

Le groupe compte aussi des représentants d'un syndicat du secteur public, d'un groupe du secteur des technologies, d'un groupe de réflexion, d'une nouvelle organisation pour une IA sûre lancée par Yoshua Bengio, pionnier de l'IA, et du Conseil technologique des Premières Nations.

Seuls trois des 27 membres du groupe de travail ont été chargés de travailler sur les systèmes d'IA sûrs et la confiance du public, a noté Mme Scassa. Elle a également exprimé ses inquiétudes quant à la demande du gouvernement aux membres du groupe de consulter leurs réseaux pour élaborer des recommandations. L'universitaire a écrit que «cela ressemble beaucoup à du réseautage d'initiés, ce qui devrait franchement susciter des inquiétudes».

Le milieu culturel inquiet

Lundi, une coalition représentant le secteur culturel a fait part aux députés du Comité du patrimoine de sa déception de ne pas être représentée au sein du groupe de travail, malgré la menace que représente l'IA pour le secteur.

Jennifer Pybus, professeure adjointe et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les données, la démocratie et l'IA à l'Université York, a déclaré qu'elle aurait souhaité voir davantage de partenaires civiques ou de chercheurs en sciences humaines au sein du groupe de travail.

Un porte-parole du ministre Solomon a affirmé que le groupe de travail «est composé d'un groupe diversifié de personnes provenant de partout au Canada et de divers secteurs».

Mme Pybus s'est dite encore prudemment optimiste quant à la stratégie, en partie en raison de l'approche du gouvernement en matière d'infrastructure numérique. Elle a ajouté que le gouvernement reconnaît qu'il doit «s'approprier les outils et établir les règles de l'ère numérique».

Dans son discours annonçant la création du groupe de travail, Evan Solomon a insisté sur le principe de souveraineté numérique.

Mais la grande majorité des capacités canadiennes de calcul et de stockage de données en IA reposent entièrement sur des plateformes appartenant à des entreprises américaines comme Amazon, Google et Microsoft, a relevé Mme Pybus.

La Presse Canadienne a rapporté en septembre que, depuis 2021, le gouvernement fédéral a dépensé près de 1,3 milliard $ en services infonuagiques fournis par Amazon, Microsoft et Google. Certains de ces services ont été utilisés pour ce que le ministère de la Défense nationale a décrit comme des applications essentielles à la mission qui soutiennent directement la préparation opérationnelle et la sécurité nationale.

Même lorsque les entreprises d'IA ont des filiales canadiennes, a fait remarquer Jennifer Pybus, «leur gouvernance est toujours aux États-Unis, ce qui signifie en fin de compte que» la législation sur la gestion de ces données canadiennes «est façonnée par les entreprises et le gouvernement américains».

Anja Karadeglija, La Presse Canadienne

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