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Une sénatrice québécoise a confié qu'elle a été stérilisée sans son consentement

durée 08h06
12 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Une sénatrice québécoise affirme que son médecin ne lui a jamais dit qu'une intervention chirurgicale subie en 2005 la rendrait incapable d'avoir des enfants. Elle espère que son histoire contribuera à une prise de conscience plus large du racisme systémique au Canada.

La sénatrice Amina Gerba a raconté son histoire à ses collègues du Sénat plus tôt ce mois-ci. Elle a déclaré avoir publiquement soutenu le projet de loi présenté au Sénat visant à criminaliser les stérilisations forcées ou sous contrainte.

«Je n’ai jamais voulu justement qu'on me considère comme quelqu'un qui se victimise. Je me suis toujours battue pour avancer.», a affirmé la sénatrice Amina Gerba à La Presse Canadienne lors d'une entrevue émouvante cette semaine.

«Je ne voulais pas en parler. Mais c'était trop dur de me taire.»

Mme Gerba a déclaré que son utérus avait été retiré en 2005 dans un hôpital de Montréal.

Elle a déclaré que, pendant des années, elle avait souffert de douleurs menstruelles intenses et de saignements abondants, et qu'à un moment donné, elle avait failli s'évanouir dans un aéroport international.

La sénatrice a raconté que son gynécologue lui avait prescrit une ablation de l'endomètre, qui consiste à retirer une partie du tissu responsable des règles abondantes.

Bien qu'une grossesse soit toujours possible après une ablation de l'endomètre, ce type de grossesse présente un risque élevé de fausse couche ou de complications médicales dangereuses. Il est conseillé aux femmes d'utiliser une contraception ou une autre méthode pour éviter une grossesse après une ablation de l'endomètre.

Mme Gerba a souligné qu'alors qu'elle n'avait plus de règles après son opération, ses symptômes douloureux avaient également disparu et sa vie était redevenue normale.

En 2016, lors d'un traitement pour un autre problème médical, sa médecin lui a prescrit une échographie pelvienne.

Elle a confié avoir été déconcertée lorsque la docteure lui a annoncé qu'elle n'avait plus d'utérus, pensant n'avoir subi qu'une intervention mineure, et non une hystérectomie.

«Elle me dit, c'est quand même bizarre, retournez voir votre gynécologue qui avait fait l'endométriose pour qu'il vous dise ce qu'il a fait réellement.», a-t-elle expliqué.

Mme Gerba a mentionné que le gynécologue qui l'avait initialement soignée avait depuis pris sa retraite, mais que l'hôpital de Montréal lui avait envoyé un dossier médical indiquant qu'on lui avait retiré l'utérus.

«Je n'ai jamais été informée. Jamais.»

La femme a préféré taire le nom de l'hôpital ni du gynécologue, car elle ne souhaite pas engager une bataille juridique qui détournerait l'attention de ce qu'elle décrit comme un problème systémique.

Elle a précisé que le dossier de l'hôpital comprenait un formulaire de consentement générique autorisant toutes les opérations nécessaires, mais ne mentionnait pas l'ablation de l'utérus.

Elle a ajouté qu'elle ne savait toujours pas si l'équipe médicale avait l'intention de lui retirer complètement l'utérus ou si elle avait découvert quelque chose pendant l'intervention qui rendait l'ablation nécessaire.

Mme Gerba s'est dite choquée. Bien qu'elle ait déjà eu quatre enfants et qu'elle avait 44 ans au moment de l'intervention, elle aurait dû être prévenue, a-t-elle soutenu.

Un problème systémique

La sénatrice a rejoint la Chambre haute et sa commission des droits de la personne, qui a étudié le projet de loi visant à criminaliser la stérilisation forcée. Elle a déclaré qu'entendre les témoignages déchirants de femmes autochtones de partout au Canada lui a rappelé sa propre histoire.

«C'est quand j'écoute les témoins que je me rends compte que j'ai été victime en fait de ça», a-t-elle raconté.

Et lorsqu'elle en parlait à ses amies, elle entendait sans cesse des femmes, en particulier des femmes noires, qui vivaient la même expérience.

«C'est un problème systémique que les autochtones vivent, que les noirs vivent que les personnes handicapées, parce qu'on croit qu'ils ne sont pas capables de se gérer», a-t-elle déclaré.

«C'est pour ça que j'y ai décidé de parler. Parce qu'il y en a beaucoup qui gardent le silence».

Elle a révélé son expérience pour la première fois au Sénat le 1er octobre.

«Le racisme systémique ne fait pas de distinction entre les femmes instruites et les femmes non instruites ni entre les femmes riches et les femmes pauvres. Il touche toutes les femmes autochtones et racialisées», a-t-elle déclaré à la Chambre. Ses collègues se sont levés pour l'applaudir et la serrer dans leurs bras.

Dans son discours au Sénat, elle a évoqué le terme «misogynoir», inventé par la féministe afro-américaine Moya Bailey pour décrire le mélange de racisme et de misogynie dirigé contre les femmes noires.

Mme Gerba a affirmé que les femmes noires d'Amérique du Nord déclarent recevoir peu ou pas d'analgésiques lors de leurs traitements médicaux, ce qui reflète la croyance de certains professionnels de la santé selon laquelle les femmes noires ne ressentent pas la douleur aussi intensément que les autres.

Une étude publiée par l'Académie nationale des sciences des États-Unis a révélé que la moitié des étudiants en médecine blancs partageaient cette croyance et qu'ils offraient parfois moins de soulagement de la douleur aux patients noirs qu'aux patients blancs.

La sénatrice a souligné que le cas de Joyce Echaquan en 2020 offrait un rare aperçu d'un problème répandu. Mme Echaquan, une femme autochtone, est décédée dans un hôpital du Québec après s'être filmée en direct en train de hurler de douleur, pendant que des professionnels de la santé lançaient des commentaires désobligeants suggérant qu'elle était une toxicomane en manque.

Mme Gerba ne peut s'empêcher de soupçonner qu'elle n'avait appris son ablation de l'utérus que parce que son médecin de famille était une femme noire exerçant en cabinet privé. Le gynécologue qui lui avait pratiqué l'ablation était un homme blanc.

Long cheminement vers la prise de parole

«Notre système de santé est confronté à un grave problème de racisme systémique, et il faut le dire, a-t-elle soutenu. Si on ne reconnaît pas un mal, on ne peut pas le soigner.»

Elle se souvient d'une de ses filles qui criait de douleur intense pendant son accouchement. Le personnel médical ne lui avait proposé ni péridurale ni césarienne.

«Peu importe ce qu'on fait, il y a toujours, toujours ce sentiment qu'ont est en train de mentir, qu' on est en train de se victimiser, qu'on est en train d'exagérer», a-t-elle confié.

C'est un point délicat à aborder pour Mme Gerba.

Arrivée au Canada du Cameroun, elle a passé des décennies à créer des entreprises, notamment des sociétés fabriquant et distribuant des produits de beauté à base d'ingrédients biologiques et équitables provenant de l'Afrique.

Depuis son arrivée au Sénat en 2021, elle se concentre sur l'ouverture des débouchés en matière d'entrepreneuriat, de commerce et d'investissement pour les entreprises canadiennes en Afrique. Autonome et motivée, elle refuse l'étiquette de «victime».

«Je voyais autour de moi comment on considérait les activistes qui voulaient attirer l'attention sur les problèmes qu'ils vivaient. Je me suis toujours dit, je dois travailler beaucoup plus, je dois exceller dans tout ce que je fais. Et ça prenait ce que ça prenait pour que je réussisse», a-t-elle affirmé.

Au Sénat, elle a maintenant la responsabilité de représenter «ceux qui n'ont pas voix au chapitre, ceux qui n'ont pas la possibilité de se défendre» — et la tribune pour le faire.

«Je ne peux plus continuer à me taire.»

Mme Gerba fait pression pour que la Chambre des communes adopte rapidement le projet de loi S-228, qui a fait l'objet d'un vote final au Sénat le 2 octobre.

La Chambre rouge a adopté un projet de loi similaire il y a un an, qui est mort au Feuilleton lors de la prorogation du Parlement par les libéraux, avant même d'avoir été débattu à la Chambre.

«C'est le système que je veux qui change. C'est pour ça que j'ai parlé. Il faut que ça change. Il faut que ça devienne criminel.»

Dylan Robertson, La Presse Canadienne

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