Une étude s'inquiète de l'effet de produits chimiques sur le microbiome
Par La Presse Canadienne
Des dizaines de produits chimiques qu'on retrouve dans notre environnement sont possiblement plus dangereux pour la santé qu'on ne le croit et pourraient être particulièrement nocifs pour le microbiome intestinal, prévient une étude britannique qui s'est intéressée à la chose pour une des premières fois.
Les chercheurs ont ainsi découvert plus de 150 produits chimiques industriels courants ― allant des pesticides aux produits ignifuges, en passant par les insecticides et les plastiques ― qui ont un effet toxique sur les bactéries présentes dans le microbiome intestinal humain sain.
«Si on a un effet sur les bactéries intestinales, il va aussi y avoir un effet sur les bactéries du sol, les bactéries des animaux, sur les plantes, peut-être même sur des organismes eucaryotes, a commenté le professeur Frédéric Raymond, un spécialiste du microbiome intestinal à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval. Ça permet un peu de mettre en évidence les points de risque.»
Les entreprises qui offrent ces substances assurent qu'elles sont conçues pour interagir spécifiquement avec leur cible, comme un insecticide qui interfère uniquement avec le système nerveux d'un insecte.
L'impact indirect que ces produits pourraient avoir sur la santé humaine en perturbant le microbiome intestinal ne fait toutefois pas partie des tests d'innocuité habituels auxquels ils sont soumis avant leur approbation.
Les scientifiques de l'Université de Cambridge ont testé, en laboratoire, les interactions entre 1076 produits chimiques courants et 22 espèces bactériennes qui composent un microbiome sain. Ils ont constaté que 168 de ces produits stoppaient la croissance bactérienne, les fongicides et les produits chimiques industriels ayant l'impact le plus important.
«Notre étude a mis en évidence 588 interactions inhibitrices entre 168 substances chimiques préoccupantes et des bactéries intestinales humaines courantes, écrivent ainsi les auteurs de l'étude. La plupart de ces substances chimiques n'avaient jamais été signalées auparavant comme ayant des propriétés antibactériennes. Les fongicides et les produits chimiques industriels ont eu l'impact le plus important, environ 30 % d'entre eux présentant une activité antibactérienne intestinale.»
Certaines bactéries intestinales développent même une résistance aux antibiotiques lorsqu'elles tentent de résister aux effets des produits chimiques.
«C'est sûr que c'est un enjeu majeur, le fait que d'être exposé à une molécule qui vient de l'environnement, qui vient des aliments qu'on mange, de l'agriculture et tout, qui ne va pas nécessairement nous perturber, mais qui va enrichir des souches de bactéries qui auraient de la résistance aux antibiotiques, ça c'est potentiellement problématique», a souligné le professeur Raymond.
Les chercheurs ont utilisé leurs données pour créer un modèle d'apprentissage automatique qui permet de prédire si les produits chimiques industriels ― qu'ils soient déjà utilisés ou en cours de développement ― seront nocifs pour les bactéries intestinales humaines.
La plupart de ces substances pénètrent dans notre organisme par le biais de la nourriture, de l'eau ou d'une exposition environnementale, a-t-on expliqué par voie de communiqué. On ne sait toutefois pas quelles concentrations de ces produits se rendent jusqu'à l'intestin, et d'autres études seront nécessaires pour les mesurer.
La «diversité taxonomique» des 22 espèces bactériennes étudiées par les chercheurs est «représentative», assure le professeur Raymond, qui prévient toutefois que les effets observés en laboratoire ne seraient pas nécessairement présents chez un humain.
«L'effet est souvent beaucoup plus drastique (in vitro) que ce qu'on voit dans la vraie vie parce que dans l'intestin, il y a toute une matrice, il y a la nourriture, il y a du mucus, il y a toutes ces bactéries qui sont ensemble, a-t-il dit. Reste que ça nous indique quand même qu'il y a beaucoup de composés qui ont un impact potentiel sur le microbiote.»
On estime que le microbiome intestinal humain est composé d'environ 4500 types de bactéries différentes, qui contribuent toutes au bon fonctionnement de l'organisme. Un déséquilibre du microbiome peut avoir des répercussions importantes sur la santé, notamment en ce qui concerne la digestion, le poids, le système immunitaire et la santé mentale.
De manière plus large, l'impact du microbiome intestinal sur de multiples aspects de la santé humaine retient de plus en plus l'attention de la communauté scientifique. Des études publiées au cours des dernières années ont ainsi témoigné d'une association potentielle entre le microbiome et la santé d'organes comme le cœur, le cerveau et même les yeux.
Pour le moment, disent les chercheurs britanniques, le meilleur moyen d'éviter l'exposition aux polluants chimiques est de laver nos fruits et légumes avant de les consommer et de ne pas utiliser de pesticides à la maison.
Les conclusions de cette étude ont été publiées par le journal Nature Microbiology.
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne
