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Dix ans plus tard, rien n'est réglé

durée 18h00
10 juillet 2023
duréeTemps de lecture 4 minutes
Par
Pier Dutil

DIX ANS PLUS TARD, RIEN N’EST RÉGLÉ

Jeudi dernier, si j’avais été dans les souliers de Justin Trudeau et de son ministre des Transports, Omar Alghabra, j’aurais été gêné de me présenter à Lac-Mégantic pour participer à la commémoration du drame qui a fait 47 innocentes victimes dans la nuit du 5 au 6 juillet 2013.

Mais, je me dois de reconnaître que la majorité de nos dirigeants politiques ont un front de bœuf et que la gêne ne les habite pratiquement jamais.

Un drame prévisible

Les conditions du transport ferroviaire au Canada laissaient déjà à désirer avant même que survienne la tragédie de Lac-Mégantic. La réglementation canadienne laissait beaucoup de latitude aux compagnies ferroviaires et la surveillance du respect de cette même réglementation s’appliquait avec un certain laxisme.

Le déraillement survenu à Lac-Mégantic nous a permis d’apprendre que des wagons transportant des matières dangereuses n’étaient pas conformes. On savait ça au ministère des Transports.

Mais, au lieu d’exiger un retrait de ces wagons, on a toléré que les compagnies ferroviaires puissent continuer à les utiliser jusqu’au moment de leur remplacement. C’est comme si vous conduisiez une auto non conforme aux règles de sécurité, mais que l’on vous permettait de continuer à utiliser cette auto jusqu’à ce que vous décidiez de la changer. Vous pourriez ainsi provoquer des accidents mortels, mais cela importe peu.

Nous avons également appris que les voies ferrées sur lesquelles circulaient ces wagons dangereux étaient dans un piteux état et que leur entretien était insuffisant.

Comme si les deux lacunes précédentes n’étaient pas suffisantes, le ministère des Transports du Canada avait accepté que les compagnies ferroviaires n’utilisent qu’un seul conducteur au lieu de deux comme prescrit auparavant. Enfin, il a été démontré que le contenu des wagons inscrit sur chacun d’eux n’était pas exact, ne décrivait pas avec précision le contenu des matières dangereuses transportées.

À tout considérer, la négligence du ministère des Transports dans l’élaboration de mesures non suffisamment sécuritaires, le laxisme du même ministère dans la surveillance du respect de ces mesures minimales et l’irresponsabilité des compagnies ferroviaires ouvraient la voie à un drame comme celui que l’on a connu. C’était un véritable cocktail explosif… qui a fini par exploser.

Rien n’est réglé

Qu’est-ce qui a été fait pour améliorer la situation après le décès de 47 innocentes victimes? Presque rien.

On n’a pas tenu d’enquête publique. On a plutôt tenté de faire du conducteur du train, Tracy Harding, un bouc émissaire sur lequel on a souhaité rejeter tout le blâme. Tracy Hardin a finalement été acquitté.

Comme mesure corrective, le ministère des Transports a imposé le retour à deux conducteurs dans les convois, on a décrété une diminution de la vitesse lorsque les trains traversent des municipalités, on a recommandé plus d’inspections des voies ferrées et c’est à peu près tout.

Dix ans plus tard, le train traverse toujours le centre-ville de Lac-Mégantic transportant encore des matières dangereuses dans des wagons pas toujours adaptés.

Et si on étend notre regard sur l’ensemble du Canada, on constate qu’en 2021, 81 accidents de trains sont survenus au Canada, soit plus d’un par semaine. 

Voie de contournement

Suite au tragique accident de Lac-Mégantic, il est vite devenu évident qu’il fallait procéder rapidement à l’aménagement d’une voie de contournement pour chasser le train du centre-ville.

Encore là, dix ans plus tard, rien de concret n’a été fait. On discute, on négocie, on élabore des scénarios divers, mais pendant ce temps, les travaux ne sont toujours pas commencés.

De plus, il y a de l’opposition quant au tracé retenu. Parmi les arguments mis de l’avant par les opposants, on mentionne la disparation de certains milieux humides et une possible contamination de la nappe phréatique, source d’approvisionnement en eau potable.

Personnellement, si j’ai à choisir entre la protection de milieux humides et la protection de vies humaines au sein d’une population urbaine, je vous avoue que le choix sera facile à faire.
Quant à la protection des eaux de la nappe phréatique, des mesures d’atténuation peuvent être mises en place.

Le ministre des Transports du Canada, Omar Alghabra, a réaffirmé son intention d’entreprendre les travaux de construction de la voie de contournement d’ici la fin de 2023. Cependant, les opposants menacent d’utiliser des recours judiciaires qui pourraient retarder le projet une fois de plus.

Devoir de mémoire

Les multiples cérémonies qui ont souligné le dixième anniversaire du drame qui a fait 47 victimes directes et des dizaines, voire des centaines de victimes collatérales (époux, épouses, enfants, parents et amis.es des victimes décédées) n’ont pas fait l’unanimité.

Plusieurs personnes préféraient se remémorer ces tristes évènements plus discrètement. Pour plusieurs, cela contribuait à gratter son bobo et ressentir un profond malaise. Je peux comprendre cette réserve.

Cependant, on ne peut laisser tomber dans l’oubli un tel drame. Un peu comme on rappelle les dates d’anniversaire des grandes guerres. Il s’agit là d’un devoir de mémoire, une marque de respect à l’égard des innocentes victimes. 

Et ce devoir de réserve, il est d’autant plus important parce que les dirigeants politiques fédéraux, malgré leurs belles paroles parfois émouvantes, n’ont pratiquement rien fait pour éviter la répétition d’un tel drame.

Pensée de la semaine

Je dédie la pensée de la semaine aux gens de Lac-Mégantic :

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