Un billet de Sylvio Morin
Disparaître pour mieux renaître
Par un samedi matin voilà deux semaines, après être passé saluer ma mère à son appartement, je suis parti en tournée dans Beauceville, sous une chaleur accablante, pour constater l'avancement de démolition des maisons sinistrées par les inondations de l'an denier.
Je l'ai fait autant par devoir professionnel que par intérêt personnel. J'aurais pu aller à Sainte-Marie, où le nombre de résidences disparues est beaucoup plus important, mais je ne suis pas Mariverain; je suis un Beaucevillois. Donc, le rapport « affectif » de ma virée s'en trouvait pas mal plus élevé.
Car prendre le temps de revisiter les parages de son patelin pour voir que des quartiers sont en train de se dissoudre dans le fond de décor provoque des « remontées sentimentales ». Encore plus pour celles et ceux qui ont habité tel ou tel secteur.
Tout en prenant des photos pour immortaliser sur support numérique — avant, on disait sur pellicule mais ça aussi c'est disparu! — ces lieux devenus des terrains vacants ou qui le seront bientôt (au moins une centaine à Beauceville, 88 à Scott et quelque 300 à Sainte-Marie), j'ai fait de belles rencontres.
Comme celle de Lucie Veilleux, dont le père, Charles-Émile, a fondé le Restaurant Normandie. La maison familiale qu'elle habite, tout juste en face du pont, ne sera plus que souvenir en septembre. Elle s'est battue pour rester mais elle a finalement laissé place à la raison plutôt qu'au coeur.
Son nouveau toit reste dans la famille puisqu'elle a acquis la maison d'un oncle sur la 9e avenue.
J'ai aussi renoué avec Sylvio Poulin, alors qu'il était en train de récupérer des matériaux de la maison de ses parents sur l'avenue Lambert.
Il m'a confié que le niveau de stress de son père et de sa mère, qui sont des octogénaires avancés, était tombé presqu'à nul depuis qu'ils sont installés dans une résidence pour aînés. Le sien aussi.
« Mon pauvre père ne dormait plus la nuit quand c'était la période des inondations. »
Puis, j'ai croisé Nancy Morin, une petite cousine que je ne connaissais pas, qui déambulait dans son jeep en montrant à son conjoint le quartier, ou du moins ce qu'il en reste, où elle avait été élevée à l'ombre de l'église Saint-François.
Dans le même quartier, je me suis entretenu pendant quelques minutes avec les frères Louis et Jacquot Mathieu, de vieilles connaissances.
Voisins l'un de l'autre, ils ont fait le pari de rester dans leur rue natale. Pour ce faire, il y a quelques années, ils ont surélevé leurs propriétés et immunisé celles-ci contre les inondations. Ils ont fait cela à leur frais, sans aucun soutien gouvernemental.
« On a décidé de demeurer ici parce qu'on prétend que ça va devenir mieux qu'avant », fait remarquer Louis. « On s'est adapté à la rivière par expérience parce qu'on est venu au monde dans ce quartier », ajoute pour sa part Jacquot.
S'adapter. Voilà un verbe qui rejoint ma propre réflexion, pendant que le hamster roule dans la cage de ma boîte crânienne, pour tenter de tirer des enseignements positifs de l'approche « bulldozer » qui a été adoptée par Québec pour régler rapidement, sans réflexion et une fois pour toutes les réclamations des inondés.
Il y a des gérants d'estrade qui prétendent que bon nombre de sinistrés se sont enrichis grâce au programme de soutien du ministère de la Sécurité publique. Personne ne s'est enrichi dans cette histoire. Ni individuellement ni collectivement ni socialement. Et bon nombre de commerçants ont perdu leur chemise. D'autres ont investis massivement pour pouvoir parer à la débâcle qui maintenant, peut advenir à n'importe lequel moment de l'année.
Le déracinement n'est pas que psychologique, il est réel. Plusieurs ont vécu des situations dramatiques. Parlez-en au maire Veilleux de Beauceville dont le bureau est devenu un lieu d'épanchement pour bien des citoyens affectés. Sûrement que le maire Vachon de Sainte-Maire pourrait en dire autant.
Comme on ne peut revenir en arrière et que c'est l'avenir qui compte, il faut repenser à neuf notre rapport avec la rivière Chaudière et, comme le dit Jacquot Mathieu, s'adapter. Il a bien raison. Plutôt que de vouloir à tout prix dompter notre cours d'eau légendaire, laissons lui la place pour « s'exprimer », comme il le fait depuis toujours, harnaché ou pas.
Les nouveaux espaces vacants vont maintenant servir de tampon pour la crue des eaux et le coeur des localités va se déplacer plus loin des rives pour ne pas subir les affres annuelles de notre chère rivière. C'est dans ce sens que Beauceville a proposé son plan de revitalisation. Disparaître pour mieux renaître. Comme un phénix. « Parce qu'on prétend que ça va devenir mieux qu'avant », dit Louis Mathieu.
(J'ouvre une nécessaire parenthèse pour conclure ce propos. J'espère sincèrement que les efforts pour sauver du pic des démolisseurs la Maison d'Élyse à Beauceville seront couronnés de succès. Autrement, celle-ci deviendra le symbole que l'avenir se construit sur les ruines mêmes du plus précieux)
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