Pier Dutil
L'art de se tirer dans le pied

Par Pier Dutil
Je connais une entreprise qui perd présentement 10 millions de dollars (10 M$) par jour et dont les dirigeants ne font rien pour changer les choses. Et, malgré ces lourdes pertes, les employés syndiqués réclament des augmentations de salaire de plus de 20 % au cours des prochaines années.
Cette entreprise, vous la connaissez aussi. Il s’agit de Postes Canada, responsable de la livraison du courrier et de colis sur l’ensemble du territoire canadien.
D’importants déficits accumulés
Au cours de deuxième trimestre de l’année en cours, Postes Canada montre des pertes de 407 M$ à son bilan. Cela s’annonce pire que le déficit de 841 M$ réalisé au cours de l’année 2024. Et, depuis 2018, Postes Canada a accumulé rien de moins que
5 milliards de dollars (5 G$) en déficit.
Pendant toutes ces années de lourdes pertes, les 19 cadres supérieurs de l’entreprise, dont 12 vice-présidents, tous grassement payés, donnent l’impression de dormir sur la «switch», ne modifiant rien au modèle d’affaires de Postes Canada.
Un nouveau Président directeur général (PDG), Doug Ettinger, est entré en fonction en 2019 pour faire le ménage et réviser le modèle d’affaires. Pourtant, depuis, rien n’a été fait. Et les déficits continuent de s’accumuler.
Pour avoir travaillé 32 ans au sein de diverses entreprises privées, je n’en connais aucune qui aurait pu tolérer un tel laisser-aller. De toute façon, cela n’aurait pu durer bien longtemps, car l’entreprise aurait été mise en faillite.
Mais la faillite n’est pas une option pour Postes Canada puisque son seul et unique actionnaire est le Gouvernement du Canada qui, en fin de ligne, finit par renflouer les finances de l’organisme. Et quand je parle du Gouvernement du Canada, l’on se doit de comprendre que, finalement, c’est vous et moi qui, avec nos taxes et nos impôts, contribuons à payer la note.
Syndicats aussi responsables
Si les hauts dirigeant de Postes Canada ont largement démontré leur incompétence, ils ne sont pas les seuls à porter le blâme de la situation actuelle des finances de l’entreprise.
D’année en année, les diverses mesures de pression des quelque 55 000 employés, les interruptions de service et les grèves qui ont affecté le public et les nombreuses entreprises qui comptaient sur les services de Postes Canada ont fini par miner la confiance de tout le monde à l’égard du service postal.
Dans le cadre des négociations actuelles, les syndicats exigent des augmentations salariales de 20 % réparties ainsi : 9 % pour la première année, 4 % pour la deuxième année et 3 % pour chacune des deux années suivantes.
J’admets facilement que des travailleurs souhaitent améliorer leurs conditions de travail. C’est légitime. Par contre, les demandes syndicales doivent tenir compte de la situation financière de l’entreprise. Quand ton employeur perd 10 M$ par jour, où voulez-vous qu’il prenne l’argent pour en donner encore plus aux employés? Il importe de mentionner que les conditions salariales des employés de Postes Canada se situent déjà largement au-dessus des conditions moyennes de l’ensemble des travailleurs canadiens.
Si l’entreprise nageait dans les profits, je considérerais tout à fait normal que les employés, à tous les niveaux, bénéficient de ces profits auxquels ils auraient contribué. Mais quand l’entreprise accumule les milliards en déficit, il devient difficile de justifier des augmentations salariales largement supérieures au taux d’inflation.
L’inaction du Gouvernement
À titre de seul et unique actionnaire de Postes Canada, le Gouvernement fédéral a la responsabilité de s’assurer que l’entreprise offre un service adéquat à la population, le tout dans un cadre financier raisonnable.
Le Gouvernement ne peut se cacher derrière le fait que Postes Canada est supervisé par un conseil d’administration. C’est d’ailleurs le Gouvernement qui a nommé les membres de ce même conseil.
Si le Gouvernement a fermé les yeux sur la situation financière de Postes Canada au cours des dernières années et n’est pas intervenu auprès des dirigeants pour que l’on remédie à la situation, il a fait preuve de laxisme et manqué à son devoir.
Un modèle d’affaires dépassé
Au cours des derniers six mois, combien de lettres avez-vous expédiées par la poste? Et, au cours de la même période, combien de lettres avez-vous reçues par la poste? Si je prends mon cas personnel, le nombre ne dépasse pas la dizaine.
Au lieu de mettre une lettre à la poste qui prendra près d’une semaine à parvenir à son destinataire, on communique par texto et/ou courriel. Ou encore, on s’appelle grâce à nos cellulaires. Pour payer ses factures, on procède numériquement et on gère en direct nos comptes de banque via le Net.
Finalement, la poste n’occupe plus la place importante qu’elle a déjà occupée dans nos vies de tous les jours. Pourtant, la direction de Postes Canada ne semble pas avoir pris conscience de ces importants changements.
Et, au lieu de modifier son modèle d’affaires pour s’adapter à la nouvelle réalité, Postes Canada a maintenu des services auxquels le public n’accorde plus la même importance.
Les inactions des hauts dirigeants, les interruptions de service provoquées par les employés syndiqués et le laxisme du Gouvernement fédéral ont fini par rompre le lien de confiance du public avec Postes Canada.
Pour bien faire comprendre les impacts de cette perte de confiance, Alain Rayes, ex-député fédéral et chroniqueur à La Presse+ écrivait ceci le 2 octobre dernier : «Chaque colis retardé, chaque lettre bloquée devient une publicité gratuite pour Amazon ou FedEx.»
Le nouveau ministre responsable de Postes Canada, Joël Lightbound, a joué les gros bras récemment, exigeant des dirigeants de Postes Canada une révision de sa structure de gestion menant à la réalisation d’économies et à des gains d’efficacité. Adresser une telle demande à des dirigeants qui sont en place depuis de nombreuses années et qui ne sont jamais parvenu à mettre fin à l’hémorragie actuelle risque fort de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau.
Ce dont Postes Canada a besoin c’est d’une véritable remise en question incluant la définition d’une toute nouvelle mission adaptée à la réalité actuelle du marché. Et cette démarche devrait inclure tous les intervenants concernés par le service postal : usagers, employés, dirigeants et Gouvernement.
Personnellement, je crois que c’est trop peu trop tard. Mais je dois avouer que j’espère me tromper.
Courage
Il ne reste que 1 218 jours au mandat de Donald Trump.
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Pensée de la semaine
Je dédie la pensée de la semaine aux dirigeants et employés de Postes Canada :