Pier Dutil
Les sentences bonbons
Par Pier Dutil
La question de la confiance à l’égard de la justice revient fréquemment dans l’actualité. Idéalement, on veut nous convaincre que tout le monde est égal face à la loi. J’ai bel et bien écrit «idéalement», tout en sachant que le monde idéal n’existe pas.
Au cours des derniers mois, des sentences rendues par certains Juges dans des causes diverses ont ébranlé quelque peu ma confiance à l’égard de la justice et je choisis aujourd’hui de partager avec vous mon inquiétude suite à ce que je me permets d’appeler des sentences bonbons.
Trois exemples suffiront.
Des facteurs atténuants
Dans La Presse+ du 20 novembre dernier, le journaliste Louis-Samuel Perron fait état d’une sentence rendue par la Juge Annie Émond à l’issue d’un procès au cours duquel Dylan Dubé un jeune autochtone Atikamekw de 23 ans a été reconnu coupable de la mort d’un ado de 17 ans lors d’un accident de la route qui a également fait huit blessés.
Dubé a plaidé coupable d’avoir conduit son véhicule alors qu’il était en état d’ébriété. De plus, son véhicule était en très mauvais état au point qu’il n’aurait pas dû prendre la route.
La sentence imposée à Dubé par la Juge Émond est de deux ans de prison dans la collectivité, alors que la Couronne réclamait une peine de 30 mois de prison.
Pour justifier sa sentence, la Juge Émond déclare avoir pris en considération le traumatisme intergénérationnel des autochtones causé par les pensionnats.
La Juge ajoute que ce n’est «aucunement un rabais lié au statut autochtone.» Pourtant, elle a bel et bien mentionné avoir pris en considération le traumatisme intergénérationnel des autochtones causé par les pensionnats.
Est-à-dire maintenant que si j’ai subi des traumatismes dans ma jeunesse ou si mes proches en ont subi, le fait d’être responsable de la mort de quelqu’un devient moins important et que la sentence devrait être moins sévère?
J’avoue ne pas comprendre.
Chaque vote compte
Lors de chaque élection, les autorités responsables de l’organisation du vote multiplient les messages visant à sensibiliser les électeurs à se prévaloir de leur droit de vote. Le message finit toujours par dire : «Chaque vote compte.»
Lors de la dernière élection fédérale tenue le 28 avril dernier, dans le comté de Terrebonne, la candidate libérale Tatiana Auguste l’a emporté par un seul vote sur son adversaire bloquiste et Députée sortante Nathalie Sinclair-Desgagné.
Or, dans les jours qui ont suivi, une électrice qui avait choisi de voter par la poste a vu l’enveloppe contenant son vote lui revenir parce qu’il y avait erreur du code postal. Mais l’erreur n’était pas sa responsabilité puisque l’enveloppe pré-adressée lui avait été fournie par le personnel du directeur du scrutin de son comté.
Et le vote en question, il était destiné à la candidate bloquiste. Si ce vote avait été comptabilisé, le résultat du scrutin dans Terrebonne se serait terminé par un compte égal, ce qui aurait exigé la tenue d’un nouveau scrutin.
L’électrice flouée a décidé de porter sa cause devant la Cour supérieure afin de faire officialiser son vote. Après avoir entendu les arguments des parties impliquées, le Juge Éric Dufour a estimé que l’erreur du code postal a été «commise par inadvertance et sans aucune intention malhonnête ou malveillante.»
À ses yeux, l’erreur ne justifiait pas que le vote soit comptabilisé, ce qui officialise donc la victoire par une seule voix de la Députée libérale.
Peut-on vraiment justifier l’annulation d’un vote qui aurait fait la différence dans un comté parce que la personne responsable de l’erreur n’avait pas de mauvaises intentions?
Si oui, j’avoue craindre pour l’avenir de la démocratie.
À la prochaine élection, quand on viendra me dire que chaque vote compte, je me permettrai d’arborer un petit sourire. Et après ça, on se demandera pourquoi le public devient cynique et que l’on vote à moins de 70 %.
Des conditions non respectées
Le 27 septembre dernier, le corps de Gabie Renaud est découvert dans un appartement à Saint-Jérôme. Dans les jours qui suivent, son ex-conjoint, Jonathan Blanchet, est accusé de meurtre au premier degré.
Or, on apprend que le Jonathan Blanchet en question possédait un lourd passé de violence conjugale et de bris de conditions.
Au cours des années, Blanchet collectionnait les accusations de violence conjugale. Mais, à chaque fois, il s’en tirait avec des sentences bonbons assorties de conditions. Mais, et c’est là que ça me trouble, plus d’une trentaine de fois, Blanchet a récidivé en ne respectant pas ses conditions.
Une fois qu’un accusé ne respecte pas les conditions qu’on lui impose pour demeurer dans la collectivité, il me semble que l’on devrait comprendre que ce dernier ne mérite plus d’être libre et qu’il mérite une incarcération.
Et cela est encore plus évident quand cela se produit une trentaine de fois. Vous avez bien lu, une trentaine de fois! Comment peut-on justifier de ne pas emprisonner une personne qui a fait preuve de violence conjugale à de multiples reprises et qui n’a jamais respecté ses conditions de remise en liberté?
Vu de l’extérieur, on croirait que la justice attendait tout simplement que cette personne en arrive à tuer quelqu’un. Eh bien, voilà, c’est fait.
Si j’étais dans les souliers des derniers Juges qui ont décidé de ne pas emprisonner Blanchet et de le laisser évoluer dans la collectivité en lui imposant tout simplement quelques conditions, suite au meurtre de Gabie Renaud, j’aurais de la difficulté à dormir.
Mais pour ça, encore faut-il avoir une conscience.
De telles sentences bonbons prononcées par des Juges ébranlent ma confiance en la justice et cela m’inquiète grandement parce que, le jour où le public n’a plus confiance en ses institutions, l’anarchie s’infiltre lentement mais sûrement dans notre société.
Courage
Il ne reste que 1 162 jours au mandat de Donald Trump.
Visionnez tous les textes de Pier Dutil
Pensée de la semaine
Je dédie la pensée de la semaine aux personnes impliquées dans le monde de la justice :

