Pier Dutil
L'art de pelleter par en avant
Par Pier Dutil
Au moment d’écrire ces lignes (dimanche matin), nous n’avons pas encore eu l’occasion de sortir nos pelles. Mais, à Ottawa, mardi dernier, ce ne sont pas les pelles que l’on a sorties, mais plutôt une gratte d’une dimension jamais vue qui servira à pelleter par en avant des milliards de dollars de déficit.
Un déficit jamais vu
Je n’ai pas l’intention de m’attarder aux nombreuses mesures contenues dans le budget de 458 pages présenté par le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, le premier budget de l’ère Carney. Les médias quotidiens en ont fait largement état.
Ce qui a retenu mon attention dans ce budget, c’est l’ampleur du déficit prévu, des déficits à venir au cours des prochaines années et, par conséquent, du gonflement de la dette canadienne.
Le déficit prévu s’élève à rien de moins que 78,3 milliards de dollars (78,3 G$) sur un budget total de 586 G$, du jamais vu. Et, comme si cela n’était pas suffisant, on nous annonce des déficits à venir de 65,4 G$ pour l’année 2026-2027, de 64 G$ en 2027-2028, de 58 G$ en 2028-2029 et de 57 G$ en 2029-2030. Cela totalise 322,7 G$ en cinq ans. OUF!
Le retour à l’équilibre budgétaire longtemps promis, oublions ça!
Les déficits de Trudeau
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le Gouvernement de Justin Trudeau a présenté annuellement des budgets déficitaires, cela même au moment où le Canada traversait des années fastes économiquement.
En décembre dernier, à quelques heures de présenter sa mise à jour économique, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a remis sa démission, se disant incapable de présenter un déficit anticipé de 42 G$. Nous connaissons tous la suite de l’histoire : démission de Trudeau, arrivée de Carney à la tête du PLC et élection d’un Gouvernement libéral minoritaire.
Comme plusieurs, je me disais que l’arrivée de Mark Carney, un ex-Gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, permettrait de remettre de l’ordre dans les finances du pays.
Je n’aurais jamais cru me gourer à ce point. Le premier budget du Gouvernement Carney et son déficit abyssal ont de quoi faire passer Justin Trudeau pour une mère économe.
Pour dorer la pilule
Pour nous faire avaler la pilule, François-Philippe Champagne a pris soin d’expliquer que les dépenses incluses dans son budget devaient être divisées en deux catégories : des dépenses courantes et des dépenses d’investissements. Tout cela pour nous convaincre qu’il y a de bonnes dettes (investissements) et des mauvaises (courantes).
Je suis disposé à admettre que, autant pour un Gouvernement que pour un individu, il y a de bonnes dettes (achat d’une propriété) et de mauvaises dettes (cartes de crédit). Mais, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, ces dettes devront un jour être remboursées.
Depuis quelques années, les ministres des Finances qui se sont succédés à Ottawa ont voulu atténuer l’ampleur des déficits en les présentant en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Pour en ajouter une couche, on s’est appliqué à comparer ce ratio de dette/PIB à ceux d’autres pays dont le ratio est pire que le nôtre. On souhaitait ainsi nous voir adopter l’adage suivant : «Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console.»
Avec le déficit prévu de l’année en cours, la dette totale du Gouvernement canadien atteindra 1 347 G$. Et, si j’ajoute à cela les déficits déjà prévus des années à venir, la dette atteindra rien de moins que 1 619 G$ en 2030.
Que, dans ce montant, il y ait une partie de bonne dette et une partie de mauvaise dette, cela ne doit pas nous faire oublier que cette dette devra un jour être remboursée avec de l’argent sonnant qui proviendra de nos taxes et de nos impôts.
Dès cette année, les seuls intérêts sur la dette actuelle totalisent 55 G$. Il s’agit là d’argent qui se retrouvera dans les poches de celles et ceux qui ont accepté de prêter de l’argent au Gouvernement sous diverses formes. Imaginez tout ce que l’on pourrait faire en une seule année avec 55 G$.
Une «toune» déjà entendue
Parmi les initiatives promises par le ministre des Finances pour tenter de redresser la situation, il a été question de rapetisser la taille de l’état en éliminant quelque 40 000 postes, soit 10 % de la fonction publique.
Malheureusement pour M. Champagne, cette «toune», on nous l’a déjà servie et elle ne s’est jamais concrétisée. Même que, sous l’ère de Justin Trudeau, la fonction publique a connu une hausse de 111 000 fonctionnaires selon les données fournies par le Conseil du trésor, une source fiable.
Et ces 40 000 fonctionnaires appelés à disparaître par attrition, par départ à la retraite ou par congédiement, que faisaient-ils? Qui héritera de leurs tâches? Est-on en train de nous dire qu’au Gouvernement fédéral, il y a quelque 40 000 travailleuses et travailleurs qui se «poignent le beigne»?
Si vous avez à contacter un service du Gouvernement fédéral dans les prochains mois, préparez-vous à attendre encore plus longtemps sur la ligne en écoutant une voix préenregistrée vous seriner aux 30 secondes : «Votre appel est important pour nous…»
Un budget générationnel
Parmi les belles expressions utilisées par François-Philippe Champagne pour vanter son budget, il y en a une en particulier que j’ai retenue parce que, pour une fois, elle exprimait la vérité. Cette expression est la suivante : un «budget générationnel».
Cependant, pour moi, cette expression n’a pas la même signification que celle de M. Champagne. Avec un déficit annoncé de 78,3 G$ cette année et des déficits de plus de 244 G$ pour les quatre prochaines années, le Gouvernement de Mark Carney est en train d’hypothéquer les prochaines générations qui hériteront d’une dette gigantesque.
Et, cela sera encore pire si jamais les agences de notation comme Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings décidaient d’abaisser la cote de crédit du Canada, ce qui obligerait le Canada à payer des taux d’intérêts encore plus élevés pour ses emprunts
Déficits répétitifs, dette et taux d’intérêts en hausse, cela n’annonce rien de bon pour les prochaines générations.
Finalement, je suis content d’avoir 80 ans, je n’aurai pas à payer très longtemps.
Courage
Il ne reste que 1 183 jours au mandat de Donald Trump.
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Pensée de la semaine
Je dédie la pensée de la semaine à François-Philippe Champagne et à Mark Carney et, pour l’ampleur de leur déficit, je me permets de leur en dédier deux pour le même prix :

