L'art de se tirer dans le pied
Pier Dutil
Lorsque l’on se fait prendre en défaut, deux options s’offrent à nous : ou bien on admet son erreur et on s’engage à corriger la situation, «oubedon» on s’en prend à celles et ceux qui nous ont pris en défaut, on les menace et on essaie de les museler.
Pris en flagrant délit de dépenses somptuaires de certains dirigeants, la FTQ Construction et la FTQ ont opté pour la deuxième option. Une vraie disgrâce.
Nombreuses révélations
Au cours des dernières semaines, des journalistes du Journal de Montréal ont révélé des dépenses somptuaires effectuées par des dirigeants de la FTQ Construction, un syndicat qui regroupe quelque 70 000 travailleurs de la construction.
Je me permets de donner deux exemples de ces dépenses: 1 707,43 $ en boisson presque toutes alcoolisées et l’achat de 13 «pick-ups» de quelque 80 000 $ chacun fournis à des employés du siège social qui ne se rendent pas sur les chantiers.
Évidemment, vous aurez deviné que ces dépenses n’ont pas été effectuées par des travailleurs sur les chantiers. Non, elles ont été remboursées à des dirigeants syndicaux qui se sont payés la traite en pigeant dans les cotisations des travailleurs qui peinent sur les chantiers de construction.
Menace de poursuite
Suite à l’étalage de ces dépenses excessives, comment a-t-on réagi à la FTQ Construction? A-t-on promis de remédier à la situation et/ou de prendre des mesures pour que cela ne se reproduise plus?
Eh bien non! On a plutôt menacé de poursuivre les journalistes si jamais ils continuaient à publier des articles dénonçant d’autres dépenses jugées excessives.
Dans la mise en demeure expédiée aux journalistes, on peut lire ce qui suit : «En tentant de soulever à nouveau la question des politiques internes de remboursement de dépenses dans un éventuel article, alors que la question a déjà été soulevée, Le Journal de Montréal agirait de manière harcelante et abusive.»
Le moins que l’on puisse dire suite à cette mise en demeure, c’est que la direction de la FTQ Construction tente tout simplement de museler des journalistes, eux aussi syndiqués, en les menaçant de procédures judiciaires, ce qui constitue sans nul doute une véritable menace d’intimidation.
L’exemple vient de haut
Si la réaction de la direction de la FTQ Construction me laisse songeur, voilà que Magali Picard, la Présidente de la FTQ, centrale syndicale à laquelle la FTQ Construction est affiliée, intervient en s’en prenant aux lanceurs d’alerte qui ont coulé les documents aux journalistes pour dénoncer la situation.
Madame Picard n’a pas cru bon de rappeler à l’ordre les dirigeants de la FTQ Construction pour qu’ils fassent preuve de modération dans le remboursement de leurs dépenses. Non, elle a plutôt préféré dénoncer les employés de ce syndicat qui, scandalisés par les dépenses exagérées de leurs dirigeants et jugeant que soulever la question au sein de l’organisme pourrait être compromettant pour eux, ont préféré organiser une fuite au Journal de Montréal.
La réaction de Madame Picard en dit long sur la culture qui règne au sein de la FTQ. Au lieu de surveiller les dirigeants qui se paient la traite avec les cotisations des travailleurs, sa réaction laisse croire qu’elle préfère tenter de trouver les lanceurs d’alerte, certainement pas pour les féliciter.
Une longue histoire d’abus divers
L’histoire de la FTQ Construction est riche en évènements qui ont soulevé des interrogations quant à l’attitude de certains de ses dirigeants. Je me permettrai de vous rappeler deux de ces épisodes.
En 1974, des fiers-à-bras, dont certains avaient un dossier criminel, agissaient comme délégués syndicaux sur les chantiers de la Baie-James. Ils se sont livrés à un saccage du chantier, paralysant ce dernier durant 55 jours et faisant des centaines de milliers de dollars de dégâts.
Cela a donné lieu à la mise en place de la Commission d’enquête sur l’exercice de la liberté syndicale dans l’industrie de la construction, connue sous le nom de la Commission Cliche, présidée par le juge Robert Cliche.
Dans son rapport remis en mai 1975, la Commission Cliche émet 134 recommandations, dont la mise en tutelle de quatre sections locales de la FTQ.
Plus près de nous, en 2015, Jocelyn Dupuis, ex-directeur général de la FTQ Construction, est reconnu coupable de fraude et de fabrication de faux documents lui ayant permis de toucher plus de 63 000 $ en remboursement de dépenses. Il avait fabriqué rien de moins que 208 faux documents. Il sera condamné à un an de prison.
Jocelyn Dupuis a multiplié les recours judiciaires afin de faire invalider cette sentence, se rendant même jusqu’en Cour suprême, mais en vain.
Comme on peut le constater, la FTQ Construction a souvent eu à se débattre avec des comportements plus ou moins abusifs de certains de ces dirigeants. Les épisodes dénoncés dernièrement par les quotidiens de Québecor ne sont pas les premiers et je ne suis pas certain qu’ils seront les derniers.
Il importe de mentionner que la direction de la FTQ Construction a mandaté la firme Raymond Chabot Grant Thorton pour procéder à une révision de la gouvernance et des politiques de gestion de l’organisme et s’est engagée à appliquer les recommandations de la firme. On verra.
Les dépenses en boisson alcoolisée
Ce qui s’est passé dernièrement à la FTQ Construction n’est pas unique à cet organisme. En 2023, le Journal de Montréal avait fait état de dépenses de quelque 18 000 $ effectuées par des dirigeants de l’Office de consultation publique de Montréal. L’affaire avait eu comme effet que des têtes ont sauté.
Personnellement, je serais favorable à ce que les dépenses de restaurant remboursées à des dirigeants d’organismes publics et syndicaux n’incluent pas les dépenses en alcool. Je considère comme normal le fait de rembourser les dépenses de repas que les dirigeants se doivent parfois de prendre à l’extérieur, car ces derniers doivent se nourrir, mais la consommation d’alcool lors d’un repas devient un choix personnel. Ces dépenses devraient tout simplement être assumées par la personne qui choisit de consommer de l’alcool lors d’un repas. Les salaires élevés de ces dirigeants leur permettent de se payer de l’alcool si tel est leur choix. Cela éviterait bien des abus.
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Pensée de la semaine
Je dédie la pensée de la semaine à tous les dirigeants d’organismes publics, syndicaux et privés qui ont droit à des remboursements de dépenses :
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