La salle de spectacles : un phénomène de Wedge Politics

Par Carl Pepin, Collaborateur spécial
Du strict point de vue de la science politique, le dossier de la salle de spectacle de Saint-Georges est un phénomène fascinant. À maints égards, il semble apparenté à un phénomène, voire à une stratégie politique née dans les pays anglo-saxons, mais que l'on voit poindre au Canada : la Wedge Politics.
Vulgairement résumée, la Wedge Politics (« politique de la division ») consiste pour un parti à utiliser un enjeu de société qui fait débat afin de survolter la base militante de ce même parti. Le but étant de battre le rappel de certains électeurs indécis et, surtout, déstructurer l'adversaire, où le sujet divise les troupes.
On peut prendre pour exemples l'avortement, le registre des armes à feu ou le mariage gai, pour illustrer des enjeux de sociétés récents qui touchent les valeurs des Canadiens. La politique de la division est une stratégie à trois volets utilisée par certains partis pour : 1) solidifier leur base électorale; 2) cibler des électeurs potentiels; 3) diviser les électeurs du camp adverse.
C'est une approche risquée, à l'instar d'une manipulation de produits explosifs, dont les résultats peuvent être plus que positifs, lorsque bien maniée. Elle est notamment utilisée pour atteindre les gens dans leurs valeurs les plus profondes. Ce qui est important dans la Wedge Politics, c'est de mesurer l'étendue du désaccord dans le camp opposé. Ceux qui sont absolument convaincus d'une idée, avec ou sans arguments, ne seront habituellement pas atteints par la politique de la division.
Entre autres, lorsque l'on sent que la lutte est serrée, cette stratégie ébranle et divise un groupe de personnes qui sont indécises ou hésitantes à embarquer dans un projet pour un détail ou deux. En clair, la Wedge Politics s'en prend à ceux qui réfléchissent, dont l'hésitation qui pourrait en découler d'embarquer ou non dans un projet les rendrait plus vulnérables aux attaques de toute part.
Dans le cas qui nous intéresse, on peut penser aux applications de la politique de la division. Oublions le règlement d'emprunt et restons sur le principe d'avoir une salle ou non.
Le camp en faveur peut diviser l'adversaire en prétextant que certains veulent une salle, mais ne sont pas d'accord avec le lieu d'implantation. Les partisans de la salle peuvent diviser l'adversaire en prétextant aussi, preuves à l'appui, qu'il en coûtera quelques dollars aux contribuables (s'ils savent bien faire parler les chiffres) et que leur qualité de vie en sera améliorée.
Dans un autre ordre d'idées, les opposants au projet adresseront leur message en invoquant une série de raisons susceptibles de diviser ceux qui aimeraient avoir une salle, mais qui hésitent, craignant certaines conséquences : hausse des taxes, problème de stationnement, les inondations, etc.
Sur la place publique, l'utilisation de la Wedge Politics a des conséquences. D'abord, elle accentue le phénomène de désinformation (chose classique et récurrente en politique). Ensuite, elle met l'emphase sur de petits détails, détails qui souvent empêchent de faire une lecture plus large et plus objective de l'ensemble du problème.
Troisièmement, et c'est la conséquence des deux premiers points, elle ne facilite pas la tenue d'un débat public où la « majorité silencieuse » pourrait se faire entendre, car ce sont les opinions d'une minorité qui sont mises en valeur. Enfin, la Wedge Politics n'est généralement pas reconnue comme une théorie apportant des solutions à un problème. Elle est une arme offensive qui cible des groupes, quitte à pulvériser au passage l'intérêt commun.
C'est à partir de ces quelques réflexions que nous nous sommes permis de réfléchir à l'application de la théorie de la politique de la division dans le contexte du dossier de la salle de spectacles. Au final, la clé pour faire un choix éclairé consiste à bien s'informer et à varier les sources d'informations que l'on consulte.
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