Entretien avec Émilie Vachon et Serge Thomassin
Saint-Georges face à l'itinérance : des lits d’urgence pour survivre, mais après ?
Depuis l’ouverture des lits d’urgence le 1er novembre dernier, l’Accueil inconditionnel, service externe du Bercail, a accueilli 44 personnes en situation d’itinérance.
Ces mesures hivernales spéciales se sont rapidement montrées essentielles à Saint-Georges. « Jusqu’à maintenant, il y a eu 398 fois où un lit a été utilisé. Il y a eu des nuits où on est monté à 7 ou 8 personnes pendant la nuit, mais habituellement on est à 3 ou 4 personnes et ce ne sont pas toujours les mêmes », a expliqué Émilie Vachon, agente de liaison de l’organisme Au Bercail et responsable des services de l’Accueil inconditionnel, en rencontre avec EnBeauce.com.
« Donc depuis le début, on a 44 personnes différentes qui ont eu besoin d'utiliser ces lits-là. Ce sont des gens qui ne répondaient peut-être pas aux critères du Bercail ou qui n'étaient pas prêts à aller en maison d'hébergement puis à s'engager dans un processus où ils doivent respecter un horaire, une routine, etc. »
La plupart d’entre eux vivent en situation d’itinérance invisible. « Ils dorment peut-être sur un divan chez quelqu’un et puis à un moment donné ils veulent une nuit un peu plus confortable », a ajouté Serge Thomassin, conseiller municipal et représentant de la Ville Saint-Georges au comité aviseur de l’Accueil inconditionnel.
Les besoins sont avant tout de trouver un endroit où passer la nuit au chaud, surtout lors des grands froids. « La journée ils peuvent profiter des services offerts par les différents organismes, ils font leurs choses. Ils reviennent la nuit où ils n'ont pas réussi à se trouver d'endroit où aller. (...) Il y a des gens qu'on a vus une dizaine de fois depuis l’ouverture des lits d’urgence, mais pas en continu », a précisé Émilie Vachon.
C’est la première fois que l’on retrouve des lits d'urgences à l’Accueil inconditionnel. Auparavant, il y avait seulement quelques lits disponibles Au Bercail. Grâce à cette nouvelle installation, les personnes qui viennent dormir-là bénéficient également d’un accès à une douche et à une machine à laver. « Il y a oui, venir dormir, mais c’est aussi l’occasion de prendre une douche, de dormir dans un pyjama propre, de se coucher dans un lit propre, prendre un petit déjeuner le matin (...) On se rend compte que les gens apprécient ça. »
Une crise du logement qui exacerbe la situation
La pénurie de logements abordables n’est plus un secret pour personne et plusieurs incendies en ont dévasté plus d’un à Saint-Georges. Le fait est que les personnes qui vivaient-là n'arrivent pas toujours à se reloger.
De son côté, la ville encourage les promoteurs immobiliers à construire des logements à prix abordables. « C’est bien d’avoir des logements chic, je suis d’accord, mais il faut aussi encourager les logements à prix abordables », a mentionné Serge Thomassin qui voit la situation se détériorer depuis la pandémie. « Tout le monde a le droit à un toit, je pense, ça commence à être plus dur que ça n’était. » D’autant plus qu’il est bien plus rapide et simple, pour un promoteur, de construire un logement classique qu’un logement à prix modique.
D’ici la fin de l’année 2025, le Bercail devrait ouvrir sept appartements-écoles pour accompagner des personnes en situation d’itinérance à apprendre ou réapprendre à vivre en appartement. Cependant à leur sortie, la réalité du marché risque d’être difficile à affronter, selon l’intervenante de l’Accueil inconditionnel. « En même temps les apparts-écoles c’est le fun, on est content de pouvoir faire ça, de pouvoir les accompagner et les aider à développer leurs compétences. Puis en même temps le prix modique qu'on va leur offrir en habitant là va faire qu'au bout de deux ans ça va être quoi le clash, la différence de prix qu’ils auront à payer ? »
Et puis, loger sept personnes c’est un bon début, mais que fait-on avec les 37 autres ?
Le rôle du comité CAPI
Face à l’augmentation de l’itinérance, la Ville et plusieurs partenaires ont mis en place le Comité d’appui aux personnes itinérantes (CAPI) à l’été 2024, suite à l’arrivée de plusieurs campements à Saint-Georges.
Ce comité regroupe la Ville, plusieurs organismes (Au Bercail, Accueil inconditionnel, Maison des Jeunes Beauce-Sartigan, le CISSS de Chaudière-Appalaches, etc.), la Sûreté du Québec et le Service de sécurité incendie de Saint-Georges. Ensemble, ils ont pu établir un plan pour intervenir de façon correcte avec les personnes en situation d’itinérance visible à Saint-Georges.
Cela a permis notamment de sensibiliser des acteurs de la ville qui peuvent être confrontés à certaines situations déroutantes en leur offrant des outils d’action si besoin. Par exemple, si une personne du service des travaux publics découvre un campement, elle sait désormais qui appeler et comment agir avec la personne qui y est installée.
Le CAPI fonctionne dans le même sens que le nouveau Programme de soutien aux pratiques policières concertées en itinérance et en santé mentale (PSPPC), mis en place par le gouvernement du Québec cette année. Celui-ci vise à soutenir les corps de police dans la mise en œuvre et la consolidation de pratiques mixtes pour répondre aux besoins de personnes en situation d’itinérance ou présentant des enjeux de santé mentale. Sachant qu’à Saint-Georges, deux intervenantes accompagnent déjà les policiers sur le terrain lorsque c’est nécessaire.
Le comité se prépare donc à l’arrivée de l’été et à l’après. « Ça a été quand même bien toléré l’été dernier, autant du côté municipal, que par les citoyens. On a vu de beaux gestes de partage et d’entraide. Cependant, ce qu’on ne veut pas, c’est être trop dans la tolérance et de que ça devienne leur solution, parce que ce n’est pas ça la solution, on a pas un été à 365 jours par année », a expliqué Émilie Vachon. « Ça ne disparaîtra pas alors il faut un moyen de les aider. Ça a l’air moins dur parfois l’été, mais ces 44 personnes elles seront toujours là après », a ajouté le conseiller municipal.
Des affiches de sensibilisation seront installées au printemps sur les circuits où les gens se promènent et risquent de voir un campement. Les deux membres du CAPI se réjouissent tout de même de voir que les citoyens s’intéressent, que l’on en parle de plus en plus et que la solidarité est présente.
« On va peut-être être obligé de tolérer à un moment donné. S’il n’y a pas d’endroits, il n’y a pas de miracle », a confié Serge Thomassin. « Après, ces personnes-là ont aussi le droit à leur opinion. Ce n’est pas parce que tu leur gardes un espace là que ça va les tenter de s'installer à cet endroit. On ne peut pas les obliger à faire ce qu’ils ne veulent pas faire. La vie n’est déjà pas facile. »
Le comité CAPI s’inspire de ce qui est mis en place dans d’autres endroits au Québec. Ils ont également interrogés directement les personnes qui pourraient être en campement cet été pour savoir quels seraient leurs besoins. Mais il faudra tout de même trouver une solution pour répondre à l’enjeu majeur de l’hiver.
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