Lettre ouverte envoyée au ministre fédéral des Transports
Projet de voie de contournement à Lac-Mégantic: un rejet citoyen «ferme»

Par Salle des nouvelles
Nous reproduisons ici l'intégrale d'une lettre ouverte envoyée au ministre fédéral des Transports, Steven MacKinnon, par la Coalition des Victimes Collatérales (CVC), qui rejette le projet de voie de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic, tel que proposé, alors qu'Ottawa s'apprête à débuter la phase d'évaluation du tracé mis de l'avant. Signalons que la CVC est un regroupement citoyens enregistré auprès du registre des entreprises du Québec, qui compte 300 membres, dont plusieurs ont perdu des proches lors de la tragédie ferroviaire de 2013.
Monsieur le Ministre,
Nous vous écrivons au nom de la Coalition des Victimes Collatérales (CVC) et des citoyens préoccupés de Lac-Mégantic, Nantes et Frontenac pour exprimer notre opposition ferme et sans équivoque au projet de contournement ferroviaire de Lac-Mégantic dans sa forme actuelle.
Il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour le projet proposé, alors que 80% de la population locale s’oppose au tracé choisi; 92.5% des résidents de Frontenac ont voté CONTRE le projet lors d’un référendum municipal, et deux des trois municipalités impactées et à l’écoute de leurs citoyens s’opposent fermement. En tant que nouveau ministre des Transports, nous vous implorons d’étudier les faits et d’écouter la science, afin d’éviter un autre scandale et tragédie humaine et environnementale.
Si nous reconnaissons l’intention du projet de contournement — soit de déplacer la circulation ferroviaire hors du centre-ville pour améliorer la sécurité et permettre la reconstruction sociale — les faits démontrent clairement que le tracé choisi ne répond pas à son objectif déclaré. Le projet de contournement a déchiré cette communauté et n’améliore pas la sécurité ferroviaire; il introduit plutôt des risques inacceptables tant pour les citoyens que pour l’environnement.
Un faux sentiment de sécurité
Selon l’évaluation des risques d’AECOM, la probabilité de déraillement sur la voie de contournement proposée est de 0,01130506, plus élevée que la probabilité du statu quo, qui est de 0,01079191. Bien que cette différence puisse sembler minime sur papier, elle représente une augmentation réelle du risque — ce qui est aggravé par le fait que les trains circuleront à des vitesses beaucoup plus élevées que sur le tracé actuel. Il est bien établi que les déraillements à grande vitesse augmentent de façon exponentielle les probabilités de graves conséquences (rupture de wagons-citernes, d’incendies, d’explosions et de destructions massives).
Le tracé proposé passera à travers des zones écologiquement sensibles (incluant dans un lac souterrain, nécessaire pour l’approvisionnement d’eau potable, protégé par arrêté ministériel), des terres agricoles et des secteurs résidentiels. Une relocalisation de la voie du centre-ville vers ces zones introduira un niveau de risque élevé inacceptable.
Rappelons que depuis la tragédie de 2013, Transports Canada et CPKC ont pris des mesures importantes pour améliorer la sécurité ferroviaire dans la région: les voies ont été refaites, des inspections visuelles sont effectuées avant le transport de matières dangereuses, la vitesse des trains est limitée à 10 mi/h et, surtout, le triage a été retiré de Nantes (le « sommet de la côte ») depuis plusieurs années, éliminant ainsi le risque d’une répétition de la nuit fatidique du 6 juillet 2013.
Or, la voie de contournement proposée aura la même pente que la voie actuelle, 3 fois plus de courbes prononcées et des trains qui circuleront à une vitesse quatre fois supérieure. En quoi ceci est une solution acceptable?
Destruction environnementale: des dommages irréversibles
Au-delà des enjeux de sécurité, les impacts environnementaux du projet proposé sont graves, étendus et insuffisamment atténués. Selon l’Évaluation des effets environnementaux révisée déposée par Transports Canada en mai 2025, le projet entraînera:
— La destruction permanente de plus de 33 hectares de milieux humides sensibles, essentiels pour l’atténuation des inondations, le stockage du carbone et la biodiversité, avec au moins 40 hectares supplémentaires adjacents à l'emprise, est également menacée.
— La fragmentation de 55 hectares de forêt productive, perturbant les corridors fauniques et affaiblissant la résilience des écosystèmes.
— La modification de ruisseaux et de réseaux de drainage, compromettant la gestion de l’eau et affectant l’eau potable d’une centaine de puits privés.
— Des perturbations culturelles et écologiques pour les communautés autochtones, avec une prise en compte insuffisante de leurs préoccupations liées aux terres traditionnelles et aux espèces d’importance.
Ces dommages sont qualifiés par les fournisseurs de Transports Canada (WSP) de «non significatifs» uniquement parce qu’ils reposent sur des mesures d’atténuation théoriques et non éprouvées qui échouent fréquemment en pratique — et l’histoire a montré à maintes reprises que les promesses de restauration produisent rarement des résultats réels.
Une question de responsabilité
Monsieur le Ministre, êtes-vous prêt à soutenir un projet qui non seulement échoue à remplir son objectif fondamental — rétablir la sécurité et la reconstruction sociale — mais qui augmente en plus le risque d’une nouvelle catastrophe tout en infligeant des dommages environnementaux graves et durables?
Les preuves, y compris celles issues de vos propres évaluations, démontrent que la voie de contournement crée de nouveaux dangers pour l’eau potable, les écosystèmes et le bien-être de la population. Approuver ce projet dans sa forme actuelle, en toute connaissance de ces risques, serait considéré par la population — et par toute enquête future — comme une négligence grave. Si des dommages surviennent, la responsabilité incombera directement à ceux qui auront choisi d’aller de l’avant malgré des avertissements clairs.
Et n’oublions pas le coût astronomique et déraisonnable de cette voie de contournement, financé par les contribuables canadiens (au profit de la compagnie ferroviaire CPKC), qui est maintenant estimé à plus de 1 milliard$ (pour 12,5 km de voie) contre un budget initial de 133 M$ en 2019. Voici un autre scandale gouvernemental en devenir.
Nos demandes
À la lumière de ce qui précède, nous exigeons respectueusement mais fermement que Transports Canada:
— suspende immédiatement toute activité liée au projet, incluant la révision du dossier par l’OTC, jusqu’à ce qu’une évaluation indépendante et impartiale de la sécurité et de l’environnement soit réalisée;
— réexamine des tracés alternatifs ou des scénarios améliorés du statu quo qui minimisent à la fois le risque de déraillement et la destruction écologique;
— lance un examen fédéral en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact, compte tenu de l’ampleur, de la sensibilité et de l’importance de la région, plutôt que de se fier à des évaluations menées par CPKC ou Transports Canada lui-même, qui représentent des conflits d’intérêts manifestes;
Un projet censé panser les blessures de 2013 ne doit pas être réalisé au prix de répéter les mêmes erreurs — mettre en péril des vies humaines, empoisonner l’eau potable, détruire l’environnement et miner davantage la confiance communautaire. Au nom de nos citoyens, de nos écosystèmes et des générations futures, nous vous appelons à agir avec responsabilité et détermination en mettant fin à ce projet dans sa forme actuelle.
Nous sommes prêts à fournir une documentation complémentaire, des témoignages d’experts indépendants et à collaborer de manière constructive pour identifier une solution qui sert réellement les intérêts de la sécurité, de la durabilité et de la justice.
Nous vous remercions de votre attention à cet enjeu urgent et vital. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos salutations distinguées.
Yolande Boulanger — Fondatrice CVC
Kurt Lucas — Fondateur CVC
Sylvain Côté — Fondateur CVC
Valery Martin — UPA-Estrie
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